Tuesday, December 26, 2006

Les Points de Vue d'un Economiste

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ADDED BY SHADOW AT : Wednesday, December 27, 2006 - 12:15 PM

L'auteur de l'article critiqué ici a pris la peine d'envoyer sous un autre format sa réponse afin de résoudre les problèmes d'affichage. Ce fait évoqué initialement dans le quatrième paragraphe de ce post n'a donc plus aucune raison d'être.

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Suite au précédent post de ce blog, l'économiste qui a rédigé l'article évoqué dans ce post a réargi et a émis une remarque sur l'utilisation de sa photo. Cette photo n'est autre que celle sur le site internet Sobika où a été publiée l'interview de cet économiste. Il importe de signaler ici que la source de la photo a été citée 2 fois dans ce post. Néanmoins, pour ne pas choquer la susceptibilité de cet économiste, ladite photo a été retirée de ce blog. Qu'il reçoive ici les sincères excuses de l'auteur du blog pour les désagréements que ce blog aurait pu lui causer.
Une deuxième remarque concerne sa demande de dévoiler le vrai nom de l'auteur de ce blog. L'auteur du blog s'appelle Shadow, comme d'autres s'appellent Rabe, Rakoto, Pierre ou Paul. L'auteur du blog donne bien son adresse mail dans ce blog, donc toutes les critiques peuvent y être adressées sans souci. Par ailleurs, l'auteur de ce blog s'est bien gardé de proférer des menaces ou des insultes à l'encontre de cet économiste. L'auteur du blog prend les visiteurs de cette page personnelle pour témoins de la moralité des phrases qui y sont publiées.
Enfin, cet économiste révendique d'exercer un droit de réponse. En fait, il n'avait même pas à revendiquer ce droit car les caractéristiques techniques de ce blog permettent de poster des commentaires. Cela dit, comme cet économiste a préféré donner ses réponses par mail tout en demandant ce droit de réponse, le mail sera publié en intégralité sur ce blog.
Si l'affichage des textes de ce mail présente des bugs, c'est indépendamment de la volonté de l'auteur de ce blog qui aurait aimé afficher un texte clair et facile à lire. Toutefois, pour prouver la bonne foi de l'auteur de ce blog, il est demandé à cet économiste de publier lui-même le mail qu'il a écrit sur le site internet Tafatafa (un site neutre et qui n'appartient pas à l'auteur de ce blog) où son article fait également l'objet de discussions. Comme ce mail a également été adressé à M. Roger Rabetafika qui suit ces échanges, il est demandé à ce dernier de publier ici ou sur Tafatafa la copie du mail qu'il a reçue car peut-être, son ordinateur a pu lire convenablement le mail de cet économiste.
Voici donc le mail en guise de droit de réponse.
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Réponse de J-J Ratsietison au théoricien de l’ombre

Vous avez bien voulu attirer mon attention sur les critiques que vous avez formulées sur votre blog à propos de mon article, et je vais donc y répondre.
Sur la forme tout d’abord :
- Lorsqu’on émet des critiques à l’encontre d’une personne nommément identifiée, il faut le faire à visage découvert et oser signer de son vrai nom surtout lorsque l’on est sûr des allégations qu’on avance ;
- Par ailleurs, la mise en page de votre article est fallacieuse. Le titre « les points de vue d’un apprenti économiste » figurant juste au-dessus de ma photo m’en attribue la qualification, d‘autant plus que j’ai bien émis mes points de vue sur le FMI et la Banque Mondiale.
- Enfin savez-vous que vous avez transgressé la loi sur « le droit à l’image » en faisant une utilisation abusive de ma photo sans mon autorisation ?
Mais l’essentiel est bien entendu sur le fond où je relève plusieurs contradictions :
- Vous annoncez que «ce n’est pas parce qu’un spécialiste de la science dit des choses que celles-ci doivent être prises pour argent comptant». Pourtant votre argumentation est une suite ainsi qu’une superposition de citations d’auteurs divers que vous prenez pour argent comptant et je n’y ai pas vu aucun argument ou analyse personnel ;
- Vous affirmez ensuite que « l’économie est une science en évolution » ; pourquoi vous référer alors à des théories d’il y a 50 voire 80 ans ?
- Vous vous défendez de ne pas faire une plaidoirie à décharge des deux Institutions de Bretton Woods, pourtant vous reprenez et défendez leurs théories tout au long de votre « plaidoirie à charge »
1/ Sur la question de la politique de change :
Vous déformez et manipulez les informations que j’ai donné en prenant les années 1996-2005 comme référence pour démonter mon analyse et, pour reprendre vos propres termes, bâtir votre «contrevérité».
Ma démonstration d’une dévaluation « caisse de stabilisation bis » prend les années 1986-1992 comme référence ! Et je dénonce la 1ère dévaluation alors que nos exportations des produits de rente représentaient 80% du total, tout comme je dénonce les suivantes quelle qu’en soit la forme.
Les sciences économiques ne sont pas des sciences exactes, mais sachez aussi que le plus souvent il faut et il suffit de faire preuve d’un simple bon sens :
- Quand on dévalue de 100%, le pouvoir d’achat de toute la population (salariés ou non) est amputé au minimum de 50%, il en reste donc 50% ;
- Une autre dévaluation de 100% va réduire ce pouvoir d’achat résiduel d’un autre 50% ce qui le ramène à 25%, alors je vous pose une question très simple : si l’on divisait votre pouvoir d’achat par 4, habiteriez-vous toujours le logement que vous occupez actuellement et arriveriez-vous à faire face à vos dépenses alimentaires et vos autres obligations actuelles de la même manière qu’aujourd’hui ?
Point n’est pourtant besoin de sortir d’une grande école ou de se référer à une théorie pour faire un constat aussi simple : la dévaluation entraîne un appauvrissement de manière mécanique, et il suffit de l’arrêter pour stopper ce mécanisme.
- Est-il besoin de vous demander ce qu’il resterait de votre pouvoir d’achat après plus de 4.000% de dévaluation cumulée?
A Madagascar cela se traduit par des salaires qui ne suffisent même plus à subvenir aux besoins primaires alimentaires, des Malgaches qui n’ont plus les moyens de se soigner et vous osez encore parler de compétitivité et de cherté de la monnaie nationale.
Oui encore une fois je fais le choix d’un Malgache « non compétitif »
C’est cela qui m’a fait dire (page 6): « Il faudrait être soit aveugle, soit idiot, soit criminel pour ne pas voir que le principal problème de ces pays est justement la faiblesse extrême du pouvoir d’achat des ménages. »
Les aveugles sont l’immense majorité de la population : elle subit en victime les conséquences de la dévaluation sans en comprendre le mécanisme ;
Les idiots sont ceux qui ont fait de l’économie qui, incapables d’avoir un minimum de réflexion personnelle, ne savent que réciter obstinément et aveuglément les théories apprises sur les bancs de l’université et continuent à justifier les dévaluations absurdes ;
Les criminels sont les économistes qui connaissent pertinemment l’absurdité des mesures de dévaluation et leurs conséquences mortelles sur la population mais continuent à les exiger et/ou à les mettre en oeuvre.
Chacun se reconnaîtra aisément.
Quant à vous, je ne vous souhaite pas de vivre la situation où après un pouvoir d’achat divisé par 4 on vous annonce qu’il faut encore dévaluer pour être compétitif et qu’il vous faut donc vous serrer de nouveau un peu plus la ceinture (s’il vous reste alors les moyens de vous en payer une).
Vous dîtes ensuite : « La contradiction vient du fait que les solutions envisagées par Ratsietison concernent en grande partie une ouverture vers l’extérieur (tourisme, pêche, artisanat destiné à l’exportation,..) alors que Ratsietison n’évoque pas la perte de compétitivité de ces secteurs sur le plan international du fait de la cherté de la monnaie nationale : une perte de compétitivité qui est tout simplement une autre forme de coûts. »
Faites attention, vous basculez dans l’hérésie intellectuelle :
- Tout d’abord je prône une ouverture sur et non pas vers l’extérieur, et la nuance est de taille car je n’ai jamais parlé d’exporter des touristes mais de les faire venir à Madagascar, et parler de compétitivité à l’intérieur d’un pays une fois que le touriste est sur place relève bien de l’hérésie intellectuelle.
Et j’espère que vous n’irez pas jusqu’à dire que la cherté de la monnaie nationale fera fuir les touristes car les pays à monnaie forte, non compétitive sont ceux qui reçoivent le plus de touristes (la France est dans les 1ers avec 67 millions de touristes, l’Espagne en accueille presque autant que le nombre de sa propre population)
- Je n’ai jamais parler d’exporter « l’artisanat » puisqu’en page 19 je dis bien que le tourisme « offrira une véritable opportunité de développement » à l’artisanat : je parle d’un objectif de 3 à 5 millions de touristes par an qu’il faudra déjà satisfaire avant de penser à exporter ;
- Pour la pêche vous ne faîtes que me prêter une intention : en page 15 § 3, je précise qu’il faut privilégier une production tournée vers la population, en général n’importe quel livre d’économie dit qu’on exporte ensuite le surplus.
On nous apprend dans les cours d’économie les mécanismes de fonctionnement des économies du Nord, et nombreux sont les « produits » de cette acculturation économique qui comme vous se bornent à répéter leurs connaissances livresques et théoriques et à en faire des références inamovibles :
Dire ainsi que « la fixité du taux de change signifie que la constitution de réserves de change pour assurer la valeur de la monnaie nationale est devenue une obligation dans la politique économique. Comme c’est à la politique monétaire de satisfaire cette contrainte de réserves de change, la règle de Tinbergen bien connue des économistes se trouve mise à mal » est une autre hérésie intellectuelle Monsieur SHADOW car l’obligation de garantir la monnaie nationale (qui peut se faire par une réserve d’or ou la production de biens d’ailleurs et pas seulement par des réserves de change) n’existe que pour les pays à monnaie convertible.
La Banque centrale malgache n’a pas cette obligation. Reprenez les pages 4 et 5 de mon article : « En effet, la Banque Centrale d’un pays à monnaie non convertible, n’a aucune obligation ni légale ni contractuelle ni d’aucune autre nature, de se constituer contrepartie en dernier ressort aux fins de satisfaire une demande formulée par un tiers (Investisseurs, particuliers, importateurs, etc.) d’échanger de la monnaie locale contre une devise étrangère.
Ce qui n’est pas le cas d’un pays à monnaie convertible, qui à défaut de ne pouvoir faire face à une telle obligation liée à la convertibilité, verrait sa monnaie subir une dévaluation technique.
C’est bien pour cela que le Brésil et l’Argentine, dont les monnaies ne sont pas convertibles, ont pu en 1994, et ce pratiquement du jour au lendemain, aligner leurs monnaies respectives sur le Dollar américain.
A l’inverse à titre d’exemple, la Lire italienne d’alors n’aurait pas tenu une seule journée une parité d’une Lire égale à un Dollar compte tenu du rapport de change entre les 2 monnaies qui était de l’ordre de 1 USD pour 1.800 ITL.
En effet la monnaie italienne étant convertible, l’Etat italien au travers de sa Banque Centrale devait en garantir la convertibilité en tout lieu et tout temps en se constituant contrepartie en dernier ressort vis à vis de tout détenteur de Lires qui aurait exprimé le souhait de l’échanger contre une autre devise. A défaut d’y parvenir, ce qui n’aurait pas manqué de se produire le cas échéant, la Lire aurait subi une dévaluation technique et serait revenue mécaniquement à sa parité d’origine avec le Dollar »
Vous citez ensuite Tinbergen : «si la politique monétaire doit s’occuper, en plus de la régulation de l’inflation par exemple, de la constitution de réserves de change, elle deviendra moins efficace». Je ne peux que vous conseiller de faire attention à ne pas tomber et vous noyer dans les remous du lac de Niehans (une autre de vos citations).
A Madagascar, la politique monétaire avec le Marché International de la Dévaluation (MID) est à l’origine de l’inflation, et la constitution de réserves de change (pas pour garantir la monnaie nationale mais pour pouvoir importer les biens nécessaires aux besoins fondamentaux du pays) dépend avant tout de notre capacité à produire et fabriquer des produits exportables :
- Il faudra penser avant à reconstituer et renforcer notre appareil productif. Il n’y a pas si longtemps, Madagascar n’a pas atteint son quota de fourniture de pommes de terre à l’île Maurice ;
- Il faudra constituer les structures d’accueil susceptibles d’accueillir 3 à 5 millions de touristes au lieu de théoriser sur la politique monétaire compétitive dont je ne vois alors ni le rôle ni l’apport.
Sur la politique de dévaluation, je vous invite à fermer vos livres une bonne fois pour toute, et à rejoindre les « berges » de la réalité :
Regardez ce qui se passe en Europe et aux Etats-unis : l’euro et le dollar ne sont pas compétitive vis à vis du yuan chinois ou de la roupie indienne, et au lieu de dévaluer les Etats-Unis ont demandé (sans succès) à la chine de réévaluer le yuan.
Vous devriez peut-être vous poser la question de savoir pourquoi ils n’appliquent pas les théories économiques prétendument reconnues de vos auteurs préférés.
En France, écoutez le 1er ministre qui ne parle encore et toujours que de pouvoir d’achat.
Et pour terminer sur la dévaluation, imaginez un investisseur venu en 2003 investir 100.000 euros soit à l’époque environ 640 millions de fmg. Supposons qu’en 3 ans il ait pu réaliser un profit de 50% par rapport à son investissement initial, (ce qui relève déjà de l’exploit compte-tenu du pouvoir d’achat des Malgaches) et se trouve donc en 2006 à la tête de 960 millions de fmg. Sauf qu’avec la dévaluation de quelques 120% sur la période, il ne dispose en fait que de l’équivalent d’environ 70.000 euros.
Et vous ne vous demandez toujours pas pourquoi depuis 30 ans qu’on les annonce, les investisseurs n’affluent toujours pas dans un pays réputé pour avoir la main-d’œuvre la moins chère du monde ?
2/ Sur le financement de l’économie :
Reprenez le titre du paragraphe en page 14 où je dis que « l’Etat doit se servir de tous les moyens …… y compris le recours au déficit public » ce qui veut dire que je n’exclus aucun autre moyen mais il est vrai que je privilégie ce moyen qui est le moins onéreux : vous dîtes alors que « le déficit qui se creuse et bel et bien présent et il faudrait le combler dans l’immédiat »
- Là vous perdez en crédibilité en ne mentionnant aucune référence car connaissez-vous beaucoup de pays qui n’aient pas des déficits publics de manière récurrente ?
- Mais surtout en page 20, je proposais l’adoption de « budgets quinquennaux » ce qui revient à dire qu’il faut se donner les possibilités d’anticiper les retombées de la croissance à court et moyen terme en « acceptant » des déficits les 2 ou 3 premières années et assurer un équilibre budgétaire sur l’ensemble des 5 années du plan.
Mais peut-être ignorez-vous que même les Entreprises en difficulté peuvent prévoir des plans de redressement pluriannuels avec des prévisions de « pertes » les 1ères années.
Et enfin sur le secteur bancaire, après les intentions, vous me prêtez maintenant des idées à partir de vos propres supputations en écrivant : « si l’idée est de faciliter l’octroi des crédits comparativement aux pratiques des banques privées qui se basent sur les critères de rentabilité, et bien elle présente plus de risques que d’avantages. En effet, cela signifie que même les projets moins rentables pourraient trouver des financements bancaires (auprès des banques publiques). Et justement à cause de la sous-robustesse des projets, leurs promoteurs auront du mal à assumer les échéances de remboursement ……… là nous ne parlons pas encore des opérations de crédits de complaisance ainsi que les éventuels arrangements (entre amis) lors des remboursements : des faits plus courants dans la sphère publique que privée. »
Là vous montrez vos limites d’analyse car vous n’avez plus comme seul moyen pour « exister » que de me prêter des idées des plus condamnables, pour vous réserver ensuite le beau rôle en versant dans la critique facile.
Mais en définitive nous ne nous référons pas aux mêmes valeurs : vous vous référez au passé, moi je regarde l’avenir et je fais confiance aux Malgaches, je crois au retour aux vraies valeurs traditionnelles Malgaches et à la bonne gouvernance d’un Etat Responsable une fois qu’on aura supprimé le MID ou Marché International de la Dévaluation et éradiqué la pauvreté à l’origine de tous nos maux : la corruption, l’insécurité, l’environnement massacré.
Et en l’occurrence, une intervention de l’Etat se traduirait entres autres par des prêts bonifiés voire des prêts à taux zéro, et je le mentionne d’ailleurs en plusieurs occasions, afin que les nationaux puissent avoir leur place dans leur propre pays.
En espérant que vous auriez l’élégance de faire une diffusion de ma réponse au moins aussi large que celle de vos « points de vue d’apprenti économiste».

Wednesday, December 20, 2006

Les Points de Vue d'un Apprenti Economiste

Il y a une semaine, Jean-Jacques Ratsietison a accordé une interview chez Sobika pour développer ses regards sur les politiques des Institutions de Bretton Woods (I.B.W.). En fait, l'interview fait écho à un article plus élaboré du même économiste. La sortie médiatique d'un économiste malgache est trop rare qu'il est impossible de zapper un tel évènement. A Madagascar, pour de multiples raisons, les intellectuels en général et les économistes en particulier ont du mal à afficher leurs opinions (dans des publications, des tribunes, ...) et encore moins à faire entendre leurs voix. Aussi, est-il plus que positif de voir que l'un d'entre eux ose avancer ses idées, notamment sur des sujets aussi cruciaux que la pauvreté, le développement ou encore les relations avec les institutions internationales comme celles de Bretton Woods. Pour autant, évitons quand même de verser dans l'euphorisme. Comme le rappelle Ratsietison [p. 13], l'économie n'est pas une science exacte : en un mot, elle s'enrichit grâce aux confrontations de points de vue qu'apportent ceux qui s'y intéressent. Ce n'est pas parce qu'un spécialiste de la science dit des choses que celles-ci doivent être prises pour argent comptant. Justement dans ce post, nous allons essayer de décortiquer ce pamphlet contre les institutions internationales (la Banque Mondiale et le F.M.I.). Mais dès le départ, mettons les choses au clair : critiquer ce texte ne devrait pas amener à la conclusion comme quoi ce post constitue une plaidoirie à décharge de ces institutions. Il ne s'agit pas ici de faire l'avocat du diable (ou des diables) mais d'apporter un regard critique mais objectif sur le texte de Ratsietison.
1. L'hérésie intellectuelle n'est pas toujours du côté de ceux qui sont décriés (ou la question de la politique de change)
D'abord, remarquons quelques erreurs qui sont peut-être le reflet de l'ignorance des réalités et/ou de l'absence de recherche et de recoupement sérieux dans la rédaction de cet article. Contrairement à ce qu' écrit Ratsietison [p. 4], le flottement n' a jamais été mis en oeuvre de façon informelle. Le Marché Interbancaire de Devises - M.I.D. (et non marché international de devises : autre erreur) n'a jamais succédé au flottement. Le flottement et le M.I.D. ne constituent pas deux systèmes différents. Dès l'abandon du régime de change fixe en mai 1994, le flottement a été officialisé avec la création du M.I.D. et c'est à travers ce marché que le nouveau régime de change (le flottement) s'opère. Au passage, soulignons à titre d'information, que le M.I.D. ne mérite pas vraiment son nom. Dans un véritable marché interbancaire, les banques y trouvent des acheteurs pour leurs excédents de devises et peuvent se financer auprès d'autres participants pour leurs besoins en devises. Il faut donc qu'elles disposent suffisamment de liquidités propres. Or dans le M.I.D., les banques agissent surtout en tant que mandataires de leurs clients.
L'une des principales idées développées par Ratsietison consiste à argumenter que la politique de change telle qu'elle est préconisée par les I.B.W. et qui consiste surtout à stimuler la compétitivité de l'économie nationale grâce à une perte de valeur de la monnaie, est économiquement abérrante. Nous ne débattrons pas sur le sens des mots dévaluation, dépréciation, ... Là où il y a erreur fondamentale c'est quand Ratsietison avance que : " La dévaluation, ce mécanisme fruit de la « pensée unique technocrate », appliquée aux pays du tiers-monde et notamment à Madagascar est : (...) économiquement aberrante : quel pays dont 80% des recettes d'exportation reposaient sur des matières premières dont les prix sont fixés par le marché, aurait eu un intérêt quelconque à dévaluer ? " [p. 5]. En effet, un bref survol des données macroéconomiques nous permet de voir que les recettes d'exportation de produits traditionnels (café, vanille, girofle, poivre) ne représentent en moyenne que 18.48% des exportations de marchandises (calcul à partir de données de la Banque Centrale de Madagascar) au cours des dix dernières années (1996-2005). Et encore là : nous ne parlons pas des recettes des services (transports, voyages, ...) mais uniquement d'exportations de marchandises. A titre d'information, les exportations de produits manufacturiers ont depuis 1996 dépassé les 50% des exportations de marchandises avec parfois des proportions importantes comme en 2000 : 73.4%. L'abérration concerne donc les hypothèses d'analyse qui sont en fait des contrevérités.
Toujours à propos de cette question de la politique de change, la contradiction d'approches est criante lorsque Ratsietison soutient que la réévaluation de la monnaie nationale ne présente pas de coûts et que cela ne nécessite pas de financement [p. 15]. Toute appréciation d'une monnaie nationale a des implications sur la compétitivité externe de l'économie à savoir une perte de compétitivité de celle-ci [1]. Il est à rappeler que les relations entre prix, compétitivité et taux de change se base entre autres sur la théorie de la parité des pouvoirs d'achats développée par Gustave Cassel [1918] il y a plus de 80 ans déjà. La contradiction vient du fait que les solutions envisagées par Ratsietison concernent en grande partie une ouverture vers l'extérieur (tourisme, pêche, artisanat destiné à l'exportation, ...) alors que Ratsietison n'évoque pas la perte de compétitivité de ces secteurs sur le plan international du fait de la chèreté de la monnaie nationale : une perte dde compétitivité qui est tout simplement une autre forme de coûts. Pourtant, l'implication négative de l'appréciation de la monnaie est reconnue par Ratsietison lorsqu'il écrit que : " Nous préférons un Malgache « non compétitif » mais consommant et vivant normalement à celui pouvant offrir le salaire le plus « compétitif » ". En fait, il est normal si Ratsietison ne se rend pas compte de sa contradiction car il arrête son raisonnement au niveau des salaires. La compétitivité de l'économie ne se résume pas au seul facteur travail fourni par l'homme, les prix de tous les facteurs entrent également en jeu.
Un dernier point sur la politique de change est à évoquer à la suite d'une intérprétation possible des idées de Ratsietison. Il ressort de ses écrits un penchant pour un retour à la fixité du taux de change et donc l'abandon du système de change flottant en vigueur depuis 1994. L'abandon pure et simple du régime de change flottant suppose l'ignorance des aspects positifs de celui-ci. Or, le régime de flottement présente l'énorme avantage d'introduire une flexibilité dans la conduite de la politique économique. Ce système permet de mieux supporter les chocs externes tel que l'illustre la métaphore de Niehans [1984, p. 287]. Cet auteur compare deux économies adoptant les deux systèmes de change (fixe et flottant) en les assimilant à deux lacs où le premier, représentant l'économie adoptant le système de change fixe, est séparé par une multitudes de digues ; le deuxième lac représentant l'économie avec le système de change flottant n'a aucune séparation interne. Des rochers qui représentent des chocs externes y sont jetés par hasard. Les perturbations seront moindres dans le second lac car les remous y seront rapidement compensés par d'autres remous. Par contre, les perturbations seront plus intenses dans les différentes parties du premier lac. Par ailleurs, la fixité du taux de change signifie que la constitution de réserves de change pour assurer la valeur de la monnaie nationale est devenue une obligation dans la politique économique. Comme c'est à la politique monétaire de satisfaire cette contrainte de réserves de change, la règle de Tinbergen [1952] bien connue des économistes se trouve mise à mal. Selon cette règle, la politique économique gagne en efficacité quand le nombre des objectifs à atteindre correspond au nombre des instruments utilisés. Si la politique monéraire doit s'occuper, en plus de la régulation de l'inflation par exemple, de la constitution de réserves de change, elle deviendre moins efficace.
2. Les prises de positions doctrinales masquent des réalités évidentes (ou la question du financement de l'économie)
L'un des principaux problèmes du secteur financier vient de l'incohérence des mesures prises dans ce domaine. Nous avons eu un aperçu de cette incohénence lorsque nous avons parlé de la politique monétaire sur ce blog avec la baisse du taux directeur de la Banque Centrale mais le maintien du niveau des coefficients des Réserves Obligatoires. L'une des propositions de Ratsietison concernant le déficit public [p. 19] renfore un peu plus cette incohérence. En fait, cette proposition de financer le déficit par la croissance signifie que les recettes fiscales (T) augmenteront dans le temps vu que son assiette (le revenu Y) augmentera. Comme T peut s'exprimer par T=t.Y ( avec t : le taux moyen d'imposition), si nous appliquons la formule du différentiel, la variation de T est égale à la somme de la variation de t et de celle de Y. Même si le taux moyen d'imposition (t) ne change pas (stabilité de la politique fiscale), une croissance économique (variation positive de Y) entraînera donc une augmentation des recettes fiscales (T). Toutefois, cette idée de financer le déficit par la croissance ne doit pas faire fi des conséquences macroéconomiques de ce déficit, notamment dans l'immédiat. Les activités qui seront impulsées par les dépenses publiques ne produiront de la croissance que dans le moyen terme voire dans le long terme. Or, le déficit qui se creuse est bel et bien présent et il faudrait le combler dans l'immédiat.
Dans ce contexte, la solution de moindre mal, en termes d'inflation est le recours à des financements non monétaires de ce déficit comme le recours aux Bons du Trésor par Adjudication - B.T.A. (qui sont des emprunts intérieurs). Ces B.T.A. présentent des intérêts manifestes pour les agents à excédent de financement (les ménages qui disposent d'épargne importante, les entreprises qui réalisent de bons résultats, ...), les institutions financières comme les banques qui disposent de liquidités, ... ; du fait de leur simplicité (multiples abaissements du seuil de souscription depuis des années, ...) ; de leur sécurité (prêter à l'Etat a plus de garantie qu'octroyer des prêts pour des projets aux solvabilités aléatoires, ...) ; de leur rentabilité (la définition des taux par la Direction Générale du Trésor se réfère d'abord au taux directeur de la Banque Centrale ; de plus les coûts de transaction comme les frais de dossiers sont moindres). Il n'est pas étonnant si les agents à excédent de financement, à la recherche d'une meilleure rémunération pour leur argent, préfèrent le placer dans les B.T.A. que dans les banques où les taux créditeurs (taux sur les dépôts) sont plus faibles. Il n'est pas non plus étonnant si à cause de l'effet d'éviction des B.T.A., les crédits à l'économie constituent environ la moitié seulement du bilan des banques primaires [D.G.E. : 2004]. En termes simples, le déficit affaiblit les capacités de financement de l'économie par le système bancaire.
Un autre point fort de l'article de Ratsietison concernant le financement de l'économie a trait à la place de l'Etat, notamment lorsqu'il suggère qu' : " il est impératif et urgent de faire une pause sur les privatisations et remédier au désengagement de l’Etat du secteur bancaire " [p. 12]. Cette idée sous-entend qu'il faudrait revenir à un système bancaire nationalisé ou tout au moins de mettre en place des banques publiques. Si l'idée est de faciliter l'octroi des crédits comparativement aux pratiques des banques privées qui se basent surtout sur les critères de rentabilité, et bien elle présente plus de risques que d'avantages. En effet, cela signifie que même les projets moins rentables pourraient trouver des financements bancaires (auprès des banques publiques). Et justement à cause de la sous-robustesse des projets, leurs promoteurs auront du mal à assumer les écheances de remboursement. En clair : dans le bilan des banques, le risque d'explosion des Créances Douteuses, Litigieuses et Contentieuses - C.D.L.C. est plus que réel. Là, nous ne parlons pas encore des opérations de crédits de complaisance ainsi que les éventuels arrangements (entre amis) lors des remboursements : des faits plus courants dans la sphère publique que privée. Or, la montée de ces C.D.L.C. handicapent fortement les capacités de prêts des banques. Finalement donc, nous avons des effets pervers qui sont à l'opposé des objectifs escomptés.
Lorsque nous revoyons la situation des banques avant la privatisation de la fin des années 90 [2], nous avons exactement ces enchaînements. Les différences entre la santé financière et la vitalité des banques privées et des banques publiques sont éloquentes. Malgré des opérations d'assainissement en vue de leur privatisation, les banques publiques ont présenté 13.4% de C.D.L.C. dans leurs crédits totaux en 1998 contre 2% seulement pour les banques privées. Au cours de ce même exercice de 1998, la croissance des crédits octroyés par les banques publiques a été négative : -12.8% contre une forte croissance de 23.5% pour les banques privées. La dualité du système bancaire est également confirmée par l'attractivité qu'exercent les banques au niveau des épargnants. En 1998, alors que les dépôts auprès des banques ont baissé de 12.8% (par rapport à 1997), ceux effectués auprès des banques privées ont augmenté de 32.7%. Avec ces quelques chiffres [C.E.E. : 2000, p. 170], nous nous rendons compte qu'un rôle actif de l'Etat dans le secteur bancaire présente des aspects plus que négatifs.
En conclusion : l'économie est une science en évolution (ou la question de la pauvreté)
L'économie est une science contradictoire. Aucun économiste ne peut se prévaloir de détenir la vérité absolue. Ainsi, est-il élémentaire que tout économiste assoie solidement ses propositions sur des arguments costauds tant au niveau du raisonnement, au niveau de l'ancrage empirique et factuel qu'au niveau des références théoriques. Et c'est justement sur ces plans que l'article de Ratsietsison perd en substance. Les hypothèses, les faits soutendant les arguments sont parfois déconnectés des réalités, faussant les analyses. Les préférences doctrinales empêchent également (des fois) la reconnaissance du bienfondé de certaines approches. L'économie est aussi une science cumulative. Ainsi, est-il important de tenir compte des avancées des recherches des uns et des autres pour pouvoir progresser. L'exemple de la compréhension du phénomène de la pauvreté constitue une belle illustration des défaillances de l'article de Ratsietison sur ce plan. En avançant qu'il suffit juste de ceci (arrêt la dévaluation) pour empêcher la pauvreté de s'aggraver et de cela (la croissance) pour réduire la pauvreté, l'article adopte une démarche trop caricaturale. Il est révolu l'époque où la pauvreté est analysée comme un simple manque de biens, une situation de pénurie économique dans une catégorie de société, facilement résolue par l'économique. Déjà dans les années 70, sous l'impulsion des auteurs comme Pierre Bourdieu [1970] ou encore des spécialistes de développement comme L. Emerij [1978], cette compréhension de la pauverté s'est élargie avec l'introduction de capital humain ou encore de besoins fondamentaux. Mais surtout, avec les travaux d'Amartya Sen [par exemple 1993, 2003], l'introduction du concept de capabilities ou capacités humaines, a considérablement changé l'analyse de la pauvreté. Ce concept désigne un ensemble de libertés réelles qui permettent à un individu d'exploiter ses capacités et d'orienter son existence. La pauvreté est ainsi définie par rapport à la privation de capacités [3]. A partir de là, il est plus facile de comprendre par exemple que les pauvres ne répondent pas normalement aux incitations et mécanismes économiques traditionnellement utilisés pour relancer la croissance [J.-P. Landau (prés.) : 2004, pp. 26-27]. A partir de là, il est nécessaire de procéder à un vrai basculement de raisonnement. Bref, ce post n'a pas été rédigé pour juste s'opposer à Ratsietison, il s'agit d'un post qui contient les commentaires d'un apprenti économiste.
Notes
[1] : Cette compétitivité est mesurée par le Taux de Change Effectif Nominal : l'indice du taux de change nominal par rapport à l'ensemble des monnaies des pays partenaires, pondérées par leur proportion respective dans les échanges du pays et par le Taux de Change Effectif Réel : le même taux corrigé du rapport des indices des prix dans le pays et à l'étranger.
[2] : En fait dès 1988, il y a eu une première vague de privatisation. La Banky Fampandrosoana ny Varotra - B.F.B. a été privatisée partiellement avec l'entrée dans son capital à hauteur de 22% de la Banque Sao Paolo. Cette même année, 51% du capital de la Banque Nationale pour l'Industrie - B.N.I. a été cédé au Crédit Lyonnais. En 1998, 70% du capital de la B.F.V. a été repris par la Société Générale. Quant à la troisième banque publique Bankin'ny Tantsaha Mpamokatra - B.T.M., c'est le groupe African Financial Holding / Bank Of Africa - B.O.A. qui est devenu l'actionnaire majoritaire (35%) en 1999 ; le reste du capital étant partagé entre le secteur privé national (35%), l' International Finance Corporation - I.F.C. (8%) et l'Etat (15%).
[3] : Comme pour le capital humain, l'approche en termes de capacités humaines place l'individu au centre des préoccupations. Elle prend en compte toutes les possibilités économiques, sociales et politiques offertes à l'individu, qui sont directement liées à son état de santé, son niveau d’éducation, ainsi que ses possibilités de faire entendre sa voix dans les débats locaux et nationaux, introduisant alors la démocratie comme élément de la définition. Néanmoins, la différence fondamentale réside dans le fait que la question n'est pas de savoir si ces possibilités confortent ou non l'évolution économique (comme la croissance), mais d'affirmer qu'elles relèvent de la définition même d'un développement qui prend en compte les aspirations de l'individu.
Références
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__________ , Rapport Annuel, de 1996 à 2005, Antananarivo.
Bourdieu Pierre (1970), La Reproduction, Les Editions de Minuit, Paris.
Cassel Gustave (1918), " Abnormal Deviations in International Exchanges ", Economic Journal, Vol. 28, N°112, March, pp. 413-415.
Centre d'Etudes Economiques - C.E.E. (2000), Madagascar : le Secteur Financier à l'Aube du 21è Siècle. Etat des Lieux et Perspectives, Université d'Antananarivo - J.F.K. School of Government, Harvard University, Antananarivo - Harvard, Novembre.
Direction Générale de l'Economie - D.G.E. (2004), " Un Marché Boursier peut-il être Institué à Madagascar ? ", Revue d'Information Economique, Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, Antananarivo, N° 16, Avril.
Emerij L. et les autres (1978), Employment, Growth and Basic Needs, I.L.O., Genève.
Gautier Jean-François (1997), " Les Banques de Dépôts à Madagascar : mais Où sont Passés les Crédits ", Document de Travail du Projet Madio, Antananarivo, Juillet.
Landau Jean-Pierre (prés.) (2004), Rapport Au Président de la République - Les Nouvelles Conributions Financières Internationales, La Documentation Française, Paris.
Niehans Jurg (1984), International Monetary Economics, The John Hopkins University Press, Baltimore.
Sen Amartya (1993), Ethique et Economie, P.U.F., Paris.
__________ (2003), Un Nouveau Modèle Economique – Développement, Justice, Liberté, Editions Odile Jacob, Paris, Février.
Tinbergen Jan (1952), On the Theory of Economic Policy, North Holland, Amsterdam.
Photo : Sobika