Friday, October 06, 2006

De la Crédibilité de la Politique Monétaire

Il y a six semaines, la Banque Centrale de Madagascar (B.C.M.) a réduit son taux directeur de 16% à 12% (Instruction N° 001-CR/06 du 14 août 2006). Naturellement, les articles de presse (écrite ou sur internet) ont traité ce sujet avec plus ou moins de justesse dans leur analyse. Et il y a bien sûr des articles qui feront sourire les gens dotés d'un minimum de culture économique. Par exemple si nous nous fions à celui de Aody, nous serons dérouté du fait de la contradiction manifeste qu'il contient. A un moment, l'auteur parle d'une réduction des investissements à cause de la chèreté du crédit et à la fin, il avance que les prêts ont connu une évolution positive. Mais il y a aussi des articles qui ont donné des éléments d'argumentation cohérents comme l'article dans Les Nouvelles, même si les hypothèses ne sont pas toujours valables (nous verrons cela plus loin).
En tout cas, si nous évoquons maintenant (seulement) ce sujet, c'est parce que ces derniers jours, les journaux (L'Express ; Le Quotidien ; Tribune) sont revenus là-dessus en se questionnant sur les effets que cette baisse exerce sur les taux des banques primaires ou plutôt en constatant l'absence d'effet. Ce post peut se résumer à une seule question et à sa réponse : faut-il s'étonner si les banques primaires sont frileuses à l'idée de suivre la B.C.M. dans la baisse des taux ? Non. Pour étayer cette position, nous étudierons dans un premier temps l'existence d'une corrélation entre le taux de la B.C.M. et les taux des banques. Dans un second temps, nous verrons les points qui bloquent actuellement le mécanisme de corrélation entre le taux directeur de la B.C.M. et les taux des banques primaires.
I. La corrélation entre le taux directeur de la B.C.M. et les taux des banques primaires
D'abord, parlons du mécanisme qui lie le taux directeur de la B.C.M. et les taux appliqués par les banques primaires.
Dans leur activité de financement de l'économie, les banques de second rang peuvent avoir des besoins de liquidité. Dans ce cas, elles se tournent vers la banque centrale qui les refinance à un certain coût. Depuis août 1999, ce refinancement des banques primaires se fait exclusivement à l'open market, c'est-à-dire à travers des interventions de la B.C.M. sur le marché monétaire par la vente ou l'achat de titres. Ce recours à l'open market est un prolongement logique d'un changement de philosophie de la politique monétaire perceptible depuis le milieu des années 90 et consacrant l'utilisation des instruments indirects au détriment des instruments directs. Tout cela pour dire que le taux directeur de la B.C.M. n'est pas le taux de refinancement des banques primaires proprement dit. Le taux de refinancement est le taux moyen pondéré de certains bons de trésor, taux qui varie lui-même selon les taux de rendement des Bons de Trésor par Adjudication (B.T.A.). Toutefois, lorsque la Direction Générale du Trésor établit ces taux de rendement de ses bons, elle se refère au taux directeur de la B.C.M., ce qui revient à dire qu'in fine, le taux de refinancement est lié au taux directeur.
Une fois le lien entre le taux de refinancement et le taux directeur expliqué, passons maintenant à l'explication entre le taux de refinancement et les taux pratiqués par les banques. Cela nous ramène à la notion de pari bancaire sur laquelle se base la gestion des banques. Lorsque le système bancaire assure ses activités de financement de l'économie en effectuant des opérations de crédit, il escompte que les recettes récoltées grâce aux intérêts sur ces crédits octroyés soient supérieures aux coûts à supporter du fait de la gestion de ces crédits et surtout du fait des emprunts en monnaie centrale (emprunts auprès de la banque centrale) qu'il devra faire. Les banques doivent alors tenir compte à la fois du taux des intérêts débiteurs (intérêts payés par les clients sur les crédits distribués), du taux des intérêts créditeurs (intérêts servis par les banques sur les dépôts des clients) et enfin du taux de refinancement. Pour avoir des bénéfices, les banques primaires cherchent à ce que les intérêts réçus l'emportent sur les intérêts versés et les charges de refinancement et fixent dans cette optique leurs taux de base.
Ainsi donc, nous devrions avoir théoriquement une certaine corrélation entre le taux directeur de la B.C.M. et les taux appliqués par les banques primaires. Pour vérifier l'existence de ce lien, un petit exercice de régression peut nous être utile. Nous chercherons à établir des relations statistiques qui expliquent la variation des taux des banques primaires par la variation du taux directeur à partir des données de la B.C.M. depuis août 1999 (et l'entrée en vigueur du nouveau système de refinancement). Etant donné qu'il y a une multitude de taux en vigueur au sein des banques de second rang, prenons les taux de base et plus pécisément le taux de base minimum car c'est celui qui fluctue le plus (par rapport au taux de base maximum). Là, nous prenons le contre-pied de la plupart des observations économétriques [exemple C.E.E. : 2000] qui considèrent plutôt le taux de base maximum en avançant l'idée que le taux de base minimum correspond surtout à des taux de faveur (à destination des employés des banques, ...). En fait, cette dernière hypothèse généralement admise n'est pas ici remise en cause mais seulement complétée par celle qui considère que les banques ne procéderont pas à des opérations à perte même si ce sont des opérations de faveur. Comme variable explicative donc, nous avons le taux directeur de la B.C.M. que nous appelons Centrale et comme variable expliquée : le taux de base minimum des banques de second rang que nous dénommons Primaires. Nous avons alors la relation linéaire suivante :


Primaires = 4.8713 + 0.6451 Centrale
R² = 0.7097


Ce petit exercice de régression est statistiquement significatif (compte tenu des valeurs de test de Fisher que nous avons) et les coefficients estimés sont également statistiquement significatifs (selon les valeurs de test de Student que nous observons). Donc, si nous nous basons sur ce modèle de régression, nous pouvons dire que le taux de base minimum des banques primaires évolue dans le même sens que le taux directeur de la B.C.M. (coefficient positif) mais que l'ampleur d'une variation du taux de banques primaires est moindre que celle de la variation du taux directeur (pente de la droite de régression <1).
Seulement nous ne pouvons pas nous contenter de cet exercice économétrique. Il nous faut nous demander si cette relation mathématique est mécanique. En d'autres termes, il serait pertinent de voir si le comportement des banques correspond uniquement à des motivations purement monétaires. Et il s'avère que si nous raisonnons en terme purement mécanique, les banques ne suivraient que partiellement les manipulations par la B.C.M. de son taux directeur. La corrélation constatée sur le plan statistique est donc le fruit d'une entente entre cette dernière et les banques secondaires. Comme le dit Jen-François Gautier [1997, p. 11] : " si l'évolution des taux de base semble (...) plus ou moins suivre celle des taux directeurs, ceci est uniquement le fait d'un accord tacite existant entre les banques de second rang et la banque centrale ". D'ailleurs, si nous revenons à notre modèle de régression, nous pouvons retrouver cette explication. En effet, nous avons un coefficient de corrélation multiple certes élevé (R²= 0.7097) mais qui reste toutefois bien en deçà de 1. Cela signifie que le pouvoir explicatif de notre modèle est relativement moyen : l'évolution du taux directeur de la B.C.M. explique bien celle du taux de base (minimum) des banques mais il reste une part non négligeable d'explication de l'évolution de ce dernier qui échappe au modèle.
II. La manipulation du taux directeur : une politique aux limites prévisibles
Allons encore un peu plus loin, pour voir quelles sont les conditions pour que la manipulation du taux directeur de la B.C.M. ait un effet-prix, c'est-à-dire pour que les taux des banques primaires en soient modifiés.
Un premier point à analyser concerne la nature de la dépendance des banques primaires vis-à-vis de la banque centrale. Pour saisir l'importance de ce point, revenons en arrière pour regarder ce qui s'est passé quand la B.C.M. a adopté une politique monétaire restrictive en 2004 en procédant à 3 hausses du taux directeur en moins de 5 mois (en avril, en juin, en septembre 2004), portant la valeur de ce taux à 16% contre 7% auparavant. Dans le cas d'une manipulation à la hausse du taux directeur, nous savons que cela ne sert à rien que la banque centrale veuille influencer le mécanisme de refinancement des banques primaires si ces dernières n'éprouvent pas ce besoin de refinancement. Autrement dit : si les banques primaires sont en état de surliquidité, une situation qualifiée encore de situation hors banque. Cette absence de dépendance naturelle des banques est compensée par une dépendance artificielle par le biais du mécanisme des réserves obligatoires (R.O.). Cet instrument oblige les banques à constituer des dépôts non rémunérés, c'est-à-dire à conserver une fraction des valeurs inscrites dans leur bilan sous formes de monnaie centrale, la fraction étant définie par le coefficient des réserves obligatoires fixé par la banque centrale.

Excès de réserves constituées par rapport aux réserves requises

Source : Banque Centrale de Madagascar.

La baisse du taux directeur de la B.C.M. qui escompte une stimulation des crédits octroyés par les banques primaires ne peut pas faire fi de la situation réelle de la liquidité de ces dernières. Le graphique ci-dessus donne l'évolution du ratio de l'excédent de liquidités des banques par rapport aux réserves requises : un ratio qui traduit l'efficacité de la mise sous dépendance des banques primaires. Nous constatons que la capacité de capacité monétaire des banques est fortement amoindrie depuis juin 2004. Bien sûr, nous pouvons toujours penser que même si les banques disposent des liquidités limitées, elles pourraient prêter grâce à un refinancement auprès de la banque centrale. Toutefois, l'objetif du pari bancaire est de minimiser les charges et partant de là, de limiter le recours à la banque centrale (qui engendre des charges). Ainsi, il aurait été plus logique de la part de la B.C.M. d'associer la baisse de son taux directeur avec des actions sur les réserves obligatoires : une baisse du coefficient et/ou un retrécissement de l'assiette des encaisses qui font l'objet de cet instrument. D'ailleurs, les mots de certains banquiers à Madagascar vont dans ce sens : " la baisse du taux directeur doit être accompagnée de celle du taux de réserves obligatoires " soutient (l'ancien) numéro un de l'institution bancaire B.N.I.-Madagascar, Dominique Tissier (L'Express).
Mais l'effet-prix (effet sur les taux des banques) d'une manipulation du taux directeur n'est pas que mécanique avons-nous dit dans la première partie. Une action de la B.C.M. sur son taux directeur est avant tout un signal émis à l'encontre des agents économiques : l'Etat (à travers la Direction Générale du Trésor, ...), les institutions financières (bancaires, ...), ... Un relèvement du taux directeur peut-être inteprêté comme le constat et/ou l'anticipation de constat de déséquilibre macroéconomique, notamment la résurgence d'une tension inflationniste. Une manipulation à la baisse du taux directeur est, par contre, motivée par le constat et/ou l'anticipation de constat d'une situation macroéconomique plus saine (surtout par rapport à l'inflation), mais c'est aussi un signe pour relancer l'activité. De la crédibilité de l'emetteur du signal (la B.C.M.) dépend sa réception par les agents économiques. En économie monétaire (comme en politique économique en général), la crédibilité de la banque centrale (ou de tout autre policy maker ou décideur public) est tout un concept surtout depuis que Finn E. Kydland et Edward C. Prescott [1977] ont traité cette question dans le cadre du thème de l’incohérence temporelles des politiques discrétionnaires et depuis que Robert J. Barro et David B. Gordon [1983] ont peaufiné l’approche dans le cadre de la politique monétaire. Plus précisément, la crédibilité des autorités monétaires exige deux conditions. D'un côté, il faut que ces autorités soient des quantitativistes pures, c'est-à-dire qu'elles s'en tiennent essentiellement (pour ne pas dire exclusivement à l'objectif de stabilité des prix (parfois au détriment d'autres objectifs, par exemple comme ceux du carré magique de Nicolas Kaldor : objectif de croissance, de stabilisation de la balance extérieure, de réduction du chômage). D'un autre côté, il faut que ces autorités fassent preuve d'indépendance dans le cadre de ce que l'orthodoxie qualifie de constitutionnalisme économique.
Si les banques primaires ne suivent donc pas la B.C.M. depuis six semaines, c'est qu'elles peuvent considérer cette dernière comme non crédible. Certains faits mettent d'ailleurs à mal la crédibilité de la banque centrale eu égard de son indépendance. Rappelons-nous de ce qui s'est passé lors de la cérémonie de présentation de voeux des corps diplomatiques à Iavoloha en janvier 2003. Dans son discours, le numéro un de l'Exécutif Malagasy a clairement dit : " omena baiko ny banky foibe ampidina ny taux d'intérêt " (ndlr : " je donne l'ordre à la banque centrale d'abaisser son taux d'intérêt "). Cet événement peut paraître anécdotiique mais la situation témoigne quand même d'une certaine mise sous tutelle de la banque centrale. Mais le problème va bien au-delà. En effet, il y a bien eu une mauvaise gouvernance macroéconomique du fait des relations entre autorités politiques (Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget) et autorités monétaires (B.C.M.) tel que l'a fait signifié le F.M.I. [2004, p. 8]. Cette mauvaise gouvernance envoie une mauvaise image de la B.C.M., ce qui a forcément porté atteinte à la crédibilité de cette dernière.
Par ailleurs, les difficultés qu'a éprouvé la B.C.M. pour stabiliser la tension inflationniste des trois dernières années entraînent des méfiances quant à la capacité même de la B.C.M. (son côté quantitativiste). Il est de plus en plus difficile de croire que la B.C.M. a une bonne appréciation de la situation lorsqu'elle estime que : " la politique monétaire, tout en restant prudente, peut être davantage orientée vers l'appui de l'investissement et de la croissance économique " (L'Express). D'ailleurs, les banques ne regardent pas que l'aspect monétaire pour évaluer la situation de l'environnement des affaires. Or sur ce plan, les enquêtes les plus sérieuses dénotent une détérioration de cet environnement des affaires à Madagascar. Dans un précédent post (How About Bizinesy), nous avons parlé du recul de Madagascar dans le classement de la Banque Mondiale. Ce même recul est observé dans le classement du World Economic Forum. Ainsi, si les banques décident d'abaisser leur taux de base pour faciliter l'octroi des crédits dans un environnement peu favorable, les projets bancables augmenteront forcément sans que des conditions pour la viabilité de ces projets soient assurées.
Enfin, ...
L'annonce de la baisse du taux directeur de la B.C.M. est un signal avons-nous vu. Un signal qui aurait pu être celui d'une action en vue de stimuler les investissements. Jusqu'à présent, les banques ne suivent pas la banque centrale. Peut-être que demain, elles vont procéder à des baisses de leur taux de base. Mais même si nous sommes en présence d'une baisse, rien ne garantit que les banques augmenteront le nombre des crédits. Quand les banques étaient très hors banque, c'est-à-dire quand elles disposaient d'excédents de liquidité importants, elles ne consacraient que moins de la moitié de leurs activités au financement de l'économie [D.G.E. : 2004, p. 4] et tiraient une grande partie de leurs revenus des activités de trésorerie (grâce aux B.T.A. émis par la Direction Générale du Trésor). La restriction de leurs moyens (à travers le mécanisme des R.O.) a changé cette donne mais n'a pas introduit une modification révolutionnaire dans la motivation des banques qui cherchent avant tout à maximiser leurs gains en minimisant les risques. Une gestion des finances publiques plus saine (contrairement à ce qui est constaté ces dernières années) est donc exigée pour réduire l'émission de B.T.A. par la Direction Générale du Trésor. Et surtout, ce qui importe ce n'est pas la baisse des taux (de la B.C.M. et/ou des banques primaires), mais c'est bien de trouver des solutions plus efficaces pour améliorer l'environnement général des affaires, ce qui entraînerait facilement les banques à suivre le mouvement. Mais au vu de la tendance qui est au recul concernant cet environnement des affaires, les défis paraissent colossaux.
Références
Banque Centrale de Madagascar, Bulletin d'Informations et de Statistiques - Supplément Annuel, de 2001 à 2005, Antananarivo.
__________ , Rapport Annuel, de 1996 à 2005, Antananarivo.
C.E.E. (2000), Madagascar : le Secteur Financier à l'Aube du 21è Siècle. Etat des Lieux et Perspectives, Université d'Antananarivo - J.F.K. School of Government, Harvard University, Antananarivo - Harvard, Novembre.
Direction Générale de l'Economie - D.G.E. (2004), " Un Marché Boursier peut-il être Institué à Madagascar ? ", Revue d'Information Economique, Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, Antananarivo, N° 16, Avril.
Gautier Jean-François (1997), " Les Banques de Dépôts à Madagascar : mais Où sont Passés les Crédits ", Document de Travail du Projet Madio, Antananarivo, Juillet.
I.M.F. (2004), Republic of Madagascar : Fifth Review Under the Three-Year Arrangement Under the Poverty Reduction and Growth Facility, Requests for Waiver of Nonobservance of Performance Criteria and Modification of Performance Criteria—Staff Report, I.M.F. Country Report No. 04/404, Washington.
Joseph Anne (1995), " La Restructuration du Secteur Bancaire à Madagascar ", Document de Travail du Projet Madio, Antananarivo, Septembre.
Kydland Finn E., Prescott Edward C. (1977), " Rules Rather Than Discretion : The Inconsistency of Optimal Plans ", Journal of Political Economy, Vol. 85, June, pp. 473-492.
Barro Robert J., Gordon David B. (1983), " Rules, Discretion and Reputation in a Model of Monetary Policy ", Journal of Monetary Economics, Vol. 12, July, pp. 101-121.

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