Sunday, September 24, 2006

Avy Mangataka Izahay ... !

Traditionnellement, la tribune des Nations Unies est saisie par les intervenants pour verser dans une diplomatie déclamatoire. Quoi de plus logique car il relève du devoir des dirigeants du Sud de mettre le doigt sur les aspects de l'environnement politique et économique international qui sont au détriment de leurs pays. L'allocution de Sem Ravalomanana Marc, à l'occasion de la 61è Assemblée Générale à New York, ne déroge pas à cette règle. Par expérience pourtant, nous constatons que ces beaux discours bouleversent rarement (du moins en un laps de temps court) le monde. Peut-être que l'une des raisons est que les éléments de ces discours ne sont pas assez pertinents et que les références ne sont pas toujours les bonnes. A l'image de l'allocution du numéro un Malagasy, des éléments de ces discours sont le fruit d'erreurs d'appréciation.
1. Le M.A.P. : un nouvel instrument ?
" j’ai décidé de développer un nouvel instrument à Madagascar, que nous appelons Madagascar Action Plan ou MAP. "
Au risque de déplaire aux promoteurs de cet instrument, il s'avère qu'ils sont les seuls à estimer qu'il s'agit d'un nouvel instrument. Côté appellation, le M.A.P. n'est pas sans rappeler le document Mozambicain A.P.R.P.A. rédigé voilà cinq ans déjà (en 2001). En ce qui concerne le processus d'élaboration de ce document, il ne diffère pas beaucoup de ce qui s'est fait avec le P.R.S.P. de 2003 revisé en 2005. (Dans notre article A Quoi Jouent-Ils ? ces processus ont été traité longuement, surtout dans la partie II. A.). Quant aux institutions internationales, elles considèrent que le M.A.P. n'est rien d'autre qu'une deuxième génération de P.R.S.P. pour Madagascar [F.M.I. : 2006, p. 10].
2. Un Plan Marshall pour l'Afrique ?
" Pour devenir indépendant nous avons besoin davantage de l’aide internationale. (...) Regardons les résultats du Plan Marshall. "
Le mot indépendance est peu compatible avec le Plan Marshall (officiellement dénommé European Recovery Program). Rappelons que ce programme d'aide a été fortement instrumentalisé par les U.S. pour asseoir leur hégémonie sur le monde. Bien avant la fin de la Seconde Guerre, les U.S. ont négocié leurs soutiens aux efforts de guerre britanniques (et européens) et à la réconstruction de l'après-guerre contre d'importantes concessions politiques et commerciales de la part de ces derniers (comme l'élimination de certaines discriminations commerciales et monétaires, en particulier celles des préférences impériales britanniques, ...). Quant au Plan Marshall proprement dit, c'est un financement qui a d'abord des desseins politiques avant d'avoir des finalités économiques. Ainsi, près de la moitié de l'aide (qui correspond actuellement à environ 100 milliards de dollars Us) a servi à acheter des soutiens politiques (contre le communisme) et à véhiculer les idées américaines (en ce qui concerne entre autres le système financier international sous le régime de Bretton Woods) en France et en Angleterre au lieu d'être affectée à des zones dévastées. C'est surtout suite aux travaux de Alan Stelle Milward [1984] : l'un des principaux auteurs qui a renouvelé l'historiographie de la reconstruction européenne, que la conception folklorique du Plan Marshall a été demystifiée.
Par ailleurs, justifier l'utilité de l'aide à travers le Plan Marshall part de l'idée que c'est ce plan qui a permis la reconstruction de l'Europe. Il ne s'agit pas ici de dénier l'idée que le Plan Marshall y a effectivement contribué. Par contre, le rôle de ce financement est à relativiser. Dans la lignée de Alan Steele Milward [1984], d'autres auteurs comme Peter Burnham [1990] ont renforcé la thèse révisionniste sur le Plan Marshall quant à son importance économique. En effet, beaucoup d'études ont depuis le milieu des années 80 remis en cause l'idée généralement répandue que cette aide a été décisive pour l'Europe et que sans cette aide, l'Europe n'aurait pas pu se relever. Par exemple, pour Barry Eichengreen et Marc Uzan [1992], les effets positifs des principaux canaux par lesquels le Plan Marshall a reconstruit l'Europe (stimulation des investissements, reconstruction des infrastructures, ...) sont temporaires. Ce qui ne justifie pas la longue croissance de l'économie européenne durant les trente glorieuses.
3. L'aide peut-elle s'accroître indéfiniment ?
" On discute de la capacité d’absorption. Comme tous les pays en développement, nous aussi, nous avons connu des problèmes. Il s’agit de problèmes de coopération entre les partenaires nationaux et internationaux. Au fond, le manque de capacités, s’il existe, résulte du manque de coopération et de confiance. La capacité ne doit jamais être le facteur déterminant pour le volume du soutien. Quand on constate le manque de capacités dans un secteur, il faut le renforcer. Si les ressources humaines ne sont pas encore suffisantes sur le plan national, il faut faire appel à des experts internationaux tout en renforçant les capacités nationales. "
Là il semble que le discours fait l'amalgame entre deux concepts différents : la capacité des acteurs du développement et la capacité d'absorption de l'aide dans une économie qui est beaucoup plus générale. Il est vrai que la faiblesse des capacités des acteurs pose problème. Cela est valable par exemple en ce qui concerne les compétences pour concevoir les projets faisant appel à l'aide, pour mettre en oeuvre et manager ces projets, ... Seulement, jusqu'à maintenant, les discours sur le recours à l'expertise internationale pour rémedier à ces faiblesses nationales sont encore sans réponse face au caractère perturbateur de cette expertise. Il ne faut jamais oublier, en effet que l'expertise est une démarche exogène qui s'insère dans le processus internalisé du développement et constitue en cela un élément perturbateur de ce dernier. Donc, prôner le renforcement des capacités nationales simultanément au recours aux experts internationaux nécessite beaucoup de précautions car les risques d'effets pervers sont grands [L. Dumoulin et les autres : 2005].
Mais la capacité d'absorption n'est pas cantonnée à la capacité institutionnelle parce qu'elle englobe une notion plus générale. La capacité d'absorption intègre tous les facteurs qui pourraient remettre en cause les bienfaits de l'aide. Entre autres sur le plan macroéconomique, il convient d'avoir un équilibre entre le volume des transferts venant de l'aide et la taille de l'économie qui la reçoit. Si nous faisons appel aux modèles macroéconomiques selon la supply side approach [cf. par exemple Tockillick : 1989] pour analyser les impacts d'une aide massive, nous verrons que l'injection de celle-ci peut affecter sensiblement la liquidité intérieure selon l'usage que les policy makers font de cette aide. En clair, les risques de déstabilisation macroéconomique comme l'aggravation des déficits courants (hors aide) et une inflation galopante sont importants. De plus selon les analyses de Andrew Berg et les autres [2005], les tendances les plus courantes des réactions face à l'accroissement de l'aide font ressortir les mauvaises stratégies qui aggravent ces risques.
4. La baisse de l'aide a affaibli la croissance en Afrique ?
" On s’est demandé pourquoi l’Afrique subsaharienne n’a pas connu de croissance économique durant les dernières années. (...) la réduction de l’aide durant les vingt dernières années en est l’une des causes principales provoquant le ralentissement de l’économie. "
Il est vrai que le volume d'aide des pays donateurs est encore loin d'atteindre le niveau convenu par les dirigeants de ces pays. En effet, ces derniers ont accepté de porter à 0.7% de leur richesse (mesurée par le Revenu National Brut - R.N.B.) le niveau de l'Aide Publique au Développement (A.P.D.). Or en 2005, le total de l'A.P.D. a à peine représenté 0.33%. Mais il est complètement faux de dire que l'A.P.D. a été réduite au cours des deux dernières décennies si nous analysons les données de l'O.C.D.E. entre 1985 et 2005. Il y a bel et bien eu une période de baisse entre 1991 et 2001, pourtant le niveau de l'A.P.D. à destination des pays en développement en 2001 (35.123 milliards de dollars Us) est nettement supérieur à l'A.P.D. de 1985 (21.185 milliards de dollars Us). Et surtout, la tendance de l'A.P.D. est renversée depuis 2002 et une hausse tangible a permis d'atteindre une A.P.D. de 106 milliards de dollars Us en 2005, soit plus de quatre fois le niveau de 1985.
Maintenant, il serait intéressant de lier l'évolution de l'A.P.D. avec celle de la croissance de l'économie africaine. Un premier point à noter est que l'Afrique n'a pas connu des problèmes de croissance seulement ces deux dernières décennies comme l'a laissé entendre le numéro un Malagasy. Les problèmes de croissance de l'économie africaine remontent au début même des années 70 [C. Patillo et les autres : 2005]. Un deuxième point important est que la croissance du P.I.B. per capita a connu une embellie entre 1995 et 1999 (de 2% par an) en Afrique alors que l'aide s'est trouvée dans une période de baisse durant les mêmes années (baisse de l'A.P.D. durant toute la décennie 90). Un troisième point est que la croissance du P.I.B. per capita a de nouveau fléchi en Afrique entre 2000 et 2003 [C. Patillo et les autres : 2006] or nous avons vu que l'A.P.D. est pourtant repartie à la hausse après 2001. Sans même recourir à des techniques de regression donc (où la croissance serait la variable expliquée et l'aide la variable explicative), nous pouvons dire que ce n'est pas l'aide qui constitue le principal facteur d'explication de l'évolution de la croissance en Afrique. D'ailleurs sur ce plan, les études de Ricardo Haussman et les autres [2004] montrent que les accélérations de croissance en Afrique s'expliquent par ordre décroissante d'importance par : la stabilisation ou l'amélioration de l'orientation de la politique économique ; le commerce ; l'amélioration des institutions politiques et par l'investissement et l'amélioration de la productivité des facteurs.
Références
Berg Andrew, Mumtaz Hussain, Aiyar Shekhar, Roache Shaun, Mahone Amber (2005), The Macroeconomics of Managing Increased Aid Inflows: Experiences of Low-Income Countries and Policy Implications, Paper prepared for the I.M.F.'s Executive Board, Washington.
Burnham Peter (1990), The Political Economy of Post-War Reconstruction, London.
Dumoulin Laurence, La Branche Stéphane, Robert Cécile, Warin Philippe (dir.) (2005), Le Recours aux Experts, Raisons et Usages Politiques, P.U.G., Grenoble.
Eichengreen Barry, Uzan Marc (1992), " The Marshall Plan: Economic Effects and Implications for Eastern Europe and the U.S.S.R. " Economic Policy, 14, pp. 14-75.
F.M.I. (2006), Request for a Three-Year Arrangement Under the Poverty Reduction and Growth Facility And Activation of the Trade Integration Mechanism, I.M.F. Country Report N°06/306, Washington, August.
Haussman Ricardo, Pritchett Lant, Rodrik Dani (2004), " Growth Accelerations ", N.B.E.R. Working Paper, No. 10566.
Milward Alan Steele (1984), The Reconstruction of Western Europe, 1945-1951, Methuen, London.
Patillo Catherine A., Gupta Sanjeev, Carey Kevin (2005), " Sustaining Growth Accelerations and Pro-Poor Growth in Africa ", I.M.F. Working Paper, 05/195.
__________ (2006), " Growing Pains ", Finance & Development, Vol. 43, N°1, March 2006.
Tockillick (1989), A Reaction Too Far : Economic Theory and the Role of State in Developing Countries, Overseas Development Institute - O.D.I., London.
P.S.
1. Avy Mangataka Izahay ... : nous sommes venus quémander.
2. Le fait que le 7è post de ce blog s'attaque au discours dont l'orateur a comme chiffre fétiche le 77 est le fruit d'un pure hasard.

Sunday, September 17, 2006

Un Développement Copié-Collé ?

Depuis la consécration (dans les années 1950) de l'Economie du Développement comme branche à part entière de l'Economie (au sens de science, c'est-à-dire de Economics) les débats continuent pour savoir quelles sont les conditions de réussite de stratégies de développement inspirées de l'extérieur. Pour plus d'information sur les leçons que nous a appris cette branche, il n'est pas inutile de se référer à Irma Adelman [2000]. Le propos se rapportera plutôt ici à ceux que nous voudrions adopter comme modèles d'inspiration. Est-ce que nous connaissons vraiment ceux que nous choississons comme modèles. Parce que peut-être, nous avons là une des causes de notre non-développement, nous voyons des réussites ailleurs, mais comme nous ne savons pas réellement comment ces modèles font, notre démarche de copier-coller est indéniablement vouée à l'échec.
Une illustration de cette ignorance de ce qui se fait et/ou de ce qui se passe ailleurs est donnée par l'article dans Le Quotidien de ce vendredi 15 septembre 2006 dans sa rubrique Politique : " Faire de Madagascar un pays émergent à l’horizon 2015. Dans cette analyse (selon le terme utilisé par l'auteur lui-même), deux principaux points méritent une attention particulière. Le premier concerne ces quelques pays d'Asie pris comme modèles de réussite grâce à la bonne gouvernance, ... suivant des recommandations des institutions internationales comme la Banque Mondiale (donc : selon une approche orthodoxe) et cela depuis trois décennies. Le second point a trait à l'ouverture de Madagascar vers l'extérieur (à travers l'adhésion aux groupements régionaux : la Southern African Development Community - S.A.D.C. en particulier), qui selon l'auteur est une bonne chose au vu de la réussite des pays de l'Asian Southeast Nations Association - A.S.E.A.N. ayant bénéficié de la présence de Singapour dans ce regroupement. Au risque de décevoir quelques uns, ce n'est pas l'existence de l'A.S.E.A.N. (et donc le fait d'y adhérer) qui a permis le développement de l'Asie orientale. De plus, ces pays n'ont pas du tout suivi le schéma de développement tel qu'il est conçu par les institutions internationales. Les insuffisances du journaliste nous offrent ainsi une occasion de porter un regard sur cette région passionnante qu'est l'Asie du Sud-Est (car c'est aussi une des raisons d'être de ce blog, pour rappel)
I. L'Asie : un développement hors schéma orthodoxe
Il n'est pas conforme à la réalité de penser que les pays asiatiques ont adopté les démarches de l'orthodoxie pour suivre le développement et qu'ils ont, pour ce faire, suivi les recommandations de la Banque Mondiale.
La dynamique économique de l'Asie est inspirée par ce que Kaname Akamatsu [1962] a théorisé : le Flying Geese - F.G. Model (ou stratégie de vol d'oies sauvages). Le modèle consiste en une industrialisation progressivement étayée par des séquences de diversification pour une mise en place d'activités industrielles plus complexes. La stratégie diffère des schémas des orthodoxes puisqu'elle comporte entre autres des éléments de guidage du processus de développement par la puissance publique : une protection de l'agriculture ; une économie administrée (avec une planification, des déclarations publiques sur les stratégies) fondée sur une accumulation interne forte, sur des acteurs locaux actifs, organisés de façon oligopolistique tant dans l'industrie que dans la finance ; ... Cette stratégie a été celle du Japon, copiée par la Corée puis copiée aussi, totalement ou partiellement, par les économies émergentes de la région. La séquence montre qu'il a fallu plus que trois décennies pour que les diverses économies émergentes parviennent au rang de celles des pays à revenus intérmédiaires, ou dépassant le seuil d'activité industrielle permettant de les qualifier de Nouveau Pays Industriel - N.P.I. (de première génération N.P.I. 1 ou les 4 Dragons : Corée, Taïwan, Hong Kong, Singapour ; de seconde génération N.P.I. 2 ou les Tigres : Indonésie, Malaysie, Philippines, Thaïlande). Toutes ces économies sont très protectionnistes les éloignant encore plus des schémas orthodoxes, à l'exception notable de Singapour et de Hong Kong voués à l'ouverture avec leur statut de Cité-Etat, mais comme le soulignent très bien David Hoyrup et Jean-Christophe Simon [2002, p. 4], ces deux cas ont un " caractère exemplaire " limité.
Sur le plan doctrinal donc, les orthodoxes n'ont pas inspiré les pays émergents d'Asie. Cela ne signifie pas que les institutions internationales n'ont pas essayé d'introduire leur vision des choses. La publication du rapport spécial de la Banque Mondiale en 1993 a, dans cet ordre d'idées, jeté le trouble quant à l'analyse de la réussite asiatique [World Bank : 1993]. Le débat cristallisé par cette publication a porté autour de l'intensité du straddling entre pouvoirs économiques et politiques (l'intervention de l'Etat dans l'orientation et l'encadrement de l'économie surtout l'industrialisation, ...). Depuis ce rapport, les politiques volontaristes des pays d'Asie, par lesquelles ils ont pourtant accédé à un stade de développement très avancé, sont de plus en plus mal acceptées et doivent faire face aux éxigences des institutions internationales en matière de libéralisation et de déréglementation. Or, cette introduction des approches orthodoxes n'a pas causé que des bienfaits car a constitué un des facteurs de la grave crise de 1997 ayant frappé l'Asie du Sud-Est. En effet, la libéralisation financière proposée par les institutions internationales s'est faite dans un contexte de tradition de garantie publique, de faiblesse des règles prudentielles, ... [Ph. Hugon : 2000]. En clair, les préconisations des institutions internationales n'ont pas du tout tenu compte des caractéristiques de ces pays qui avaient été pourtant positives jusque là pour eux. Lors de l'éclatement de la crise, les politiques interventionnistes ont retrouvé une certaine actualité. La reprise Est-Asiatique a été possible grâce en grande partie à l'Etat mettant en oeuvre des politiques budgétaires expansionnistes, soit une sortie de crise différente de celle envisagée par les institutions internationales [Ph. Hugon : 2001].
Bien sûr, tout n' a pas été positif dans le développement des pays de l'Asie du Sud-Est. Nous pouvons citer par exemple l'opacité des structures de governance que tout le monde a constaté tardivement lors de la crise [J. Sgard, L. Cadiou, M. Aglietta, A. Benassy-Quéré : 1997]. En passant, cela prouve une fois de plus encore que cette région n'a pas suivi les préceptes orthodoxes des institutions internationales. D'ailleurs, les préceptes orthodoxes de ces institutions sur la gouvernance, transparence, ... ne peuvent pas avoir influencé ces pays dans leur processus de développement lancé depuis des décennies car ces préceptes n'ont commencé à être définis par ces institutions que vers le milieu des années 1990. Rappelons que c'est en 1992 que la Banque Mondiale [1992] a parlé pour la première fois de governance. Par ailleurs, l'interaction entre préconisations des institutions internationales en termes de gouvernance et politiques publiques des pays de l'Asie du Sud-Est s'est faite d'abord dans le sens partant de ces derniers. Cela veut dire que l'exemple asiatique a fortement influencé les courants de pensée orthodoxes en conduisant à l'émergence des courants néo-institutionnalistes (avec des penseurs comme Stephen Knack, Philip Keffer, ...). En effet, l'observation faite sur l'Asie a inspiré ces derniers à replacer l'Etat et les institutions dans la construction intellectuelle sur le développement. Au niveau des institutions internationales, la réflexion de la Banque Mondiale sur les institutions est arrivée à maturation en 1997 et reflète cette redécouverte de l'Etat comme acteur du développement (inspirée au moins en partie par l'exemple asiatique) avec la publication de son World Development Report (ou Rapport sur le Développement dans le Monde) [World Bank : 1997].
II. L'A.S.E.A.N. : un exemple non pertinent en termes d'intégration
Nous allons maintenant séparer la question de l'ouverture de Madagascar et celle de la référence à l'A.S.E.A.N. pour ce faire. En effet, que Madagascar adhère aux regroupements régionaux est une chose mais qu'il copie les pays de l'A.S.E.A.N. pour motiver cette ouverture en pensant que l'A.S.E.A.N. a permis le développement (une transformation de la région selon Le Quotidien) de ses pays membres, en est une autre.
Il faut se souvenir que la principale raison d'être de l'A.S.E.A.N. aujourd'hui comme hier est avant tout politique. L'Asie a été dans les années 50 et 60 le théâtre de conflits notamment dûs à l'expansion communiste et ses soubresauts : guérillas en Malaisie et aux Philippines, révolution culturelle en Chine, guerre au Viet-Nam, ... Pour faire face à cette progression, les U.S. ont appuyé les changements de régime (Suharto en Indonésie, Marcos aux Phillipines) dans un premier temps. Et dans un second temps, les U.S. ont incité à la solidarité régionale face au bloc communiste, débouchant à la création d'une réunion de nations. L'A.S.E.A.N. est donc née en 1967, en prolongement de la South East Asian Treaty Organization - S.E.A.T.O. (ou Organisation du Traité de l'Asie du Sud Est). La genèse anticommuniste de l'A.S.E.A.N. est conforme à la strategy of containment des U.S. dans cette région et à ce qui allait devenir par la suite la Guam doctrine (lancée par Nixon en 1969). Au fil du temps, la considération politique est toujours perceptible. Par exemple, l'adhésion de la République Socialiste du Viet-Nam à l'A.S.E.A.N. en Juillet 1995 n'est que le reflet de la reprise des relations diplomatiques ce pays avec les U.S. intervenue quelques semaines auparavant. Voilà pourquoi Jacques Ternier a écrit : " contrairement aux intégrations régionales des années 1980 et 1990, l'intégration de l'Asie du Sud-Est (...) a pour principale motivation la sécurité stratégique et non les échanges commerciaux " [2003, p. 147].
Sur le plan purement économique, l'A.S.E.A.N. est très discrète dans cette région dont l'une des caractéristiques est qu'elle s'apparente à une véritable mosaïque économique où se côtoient des pays parmi les plus pauvres du monde (Cambodge, Laos, Myanmar) avec ceux figurant parmi les plus riches (Singapour). Les intentions affichées dans la Déclaration de Bangkok en 1967 (objectifs d'accélération de la croissance, de progrès social, de développement culturel au moyen d'actions communes, ...) sont restées pendant longtemps lettre morte. Pour illustrer l'oubli des préoccupations économiques, ce n'est qu'en 1976 (Sommet de Bangui) par exemple, qu'un timide reveil est constaté en vue de renforcer la coopération industrielle. En fait, l'A.S.E.A.N. constitue un bon cas où la nuance entre les mots régionalisation et intégration régionale a toute sa pertinence. Précisons que la régionalisation fait référence essentiellement à l'intensification des flux (flux commerciaux, flux des capitaux, ... ) au sein de la zone, tandis que l'intégration régionale a trait à la fois à une intensification des flux mais aussi à une construction institutionnelle [P. Berthaud : 2001]. La différence entre le périmètre factuel et le périmètre institutionnel du processus de régionalisation en Asie fait que l'A.S.E.A.N. ne permet pas du tout d'appréhender cette région.
Il y a bel et bien un processus de régionalisation en Asie, mais ce n'est pas le fait de l'A.S.E.A.N. pour autant. Un facteur explicatif de ce régionalisme est que de longue date, l'Asie Orientale et ses composantes ont été intégrées dans des réseaux économiques multiples. Ces réseaux peuvent être de proximité comme les réseaux commerciaux chinois implantés depuis des millénaires, les réseaux financiers organisés autour de la diaspora des communautés chinoises [G. S. Redding : 1993]. Il y a aussi les réseaux sur de longues distances faisant de la région un carrefour des impérialismes européens, japonais et nord-américains depuis l'ère coloniale. Mais la régionalisation incombe surtout à la stratégie des firmes qui investissent dans les pays de la région. Et encore, ce sont les firmes japonaises (notamment avant 1997) et celles des N.P.I. 1, c'est-à-dire essentiellement des firmes hors-A.S.E.A.N. (à part celles de Singapour) qui jouent le rôle moteur de cette régionalisation [D. Hoyrup, J.-C. Simon : 2002]. La logique de ces Foreign Direct Investment - F.D.I. (ou Investissement Direct Etranger - I.D.E.) est double : une implantation sur les marchés locaux pour contrer les réglementations protectionnistes en produisant localement (soit une logique contraire à celle d'une intégration) et une logique de délocalisation pour réexportation à partir de pays d'accueil détenant un avantage comparatif (ressources naturelles abondantes, main-d'oeuvre mobilisable, ...). Ainsi, avons-nous, non une intégration tirée par l'A.S.E.A.N., mais une régionalisation de facto en Asie.
En conclusion
Pour terminer, il est indéniable que les pays d'Asie du Sud-Est fascinent et peuvent inspirer (au moins dans une certaines mesure, sans pour autant inciter à faire une copie intégrale) dans la recherche de stratégies de développement. La réussite des pays de cette région ne vient pas des recommandations de la Banque Mondiale. Loin s'en faut. Cette réussite ne vient pas non plus de l'adhésion à l'A.S.E.A.N. pour certains d'entre eux. Le formidable développement de la région avant la crise de 1997 n'est pas le fait de cette organisation, ni la reprise post-crise. En fait, une conscientisation pour une vraie intégration a été constatée au moment de la crise. C'est dans ce cadre que la " Vision 2020 " pour l'A.S.E.A.N. en matière de développement, de lutte contre la pauvreté, ... a été adoptée en 1997. Pour la première fois, une terminologie proche de celle utilisée dans l'intégration européenne apparaît avec des programmes d'infrastructure de transport, l'interconnexion des réseaux de télécommunications, des projets de gazoduc trans-A.S.E.A.N., ... Mais les vraies avancées en termes d'intention de coopération régionale dépassent le cadre de l'A.S.E.A.N. comme le montre la multiplication des sommets informels de l'A.S.E.A.N. + 3, c'est-à-dire les dix membres avec le Japon, la Corée, la Chine, confirmant une fois encore le non-chevauchement des espaces d'intégration institutionnalisée et des espaces de régionalisation. Nous parlons d'intention de coopération régionale car finalement, dès que les effets de la crise se sont estompés, le caractère individualiste et nationaliste (empêchant les nations de céder une partie plus ou moins importante de leur souveraineté), les vieilles rivalités et les concurrences (notamment entre les N.P.I. 2 et la Chine) ont repris le dessus balayant définitivement l'idée que l'A.S.E.A.N. (a permis) permet le développement de l'Asie.
Références
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Akamatsu Kaname (1962), " A Historical Pattern of Economic Growth in Developing Countries ", The Developing Economies, Tokyo, Preliminary Issue No.1, pp.3-25.
Astier Florence, Dufournet Thierry, Tran Xuan (2002), " La Chine, Le Japon et l'Asie : entre Intégration et Rivalités ", Analyse Mensuelle du Groupe SocGen, Septembre.
Berthaud Pierre (2001), " Intégration internationale. : l'Apport de l'Economie Politique Internationale Revisitée ", Communication au Forum de la Régulation, Paris, 11-12 Octobre.
Berthélemy Jean-Claude, Chauvin Sophie (2000), Structural Changes in Asia and Growth Prospects After the Crisis, Cepii, Document de Travail, N°00-09, Juin.
Bouissou Jean-Marie (2000), " L'Economie Politique de Dix Ans de Crise ", Economie Internationale - La Revue du Cepii, N° 84, 4è Trimestre.
Hoyrup David, Simon Jean-Christophe (2002), " L'Intégration Industrielle en Asie Orientale : Régionalisation et Globalisation ", Présentation Cedece.
Hugon Philippe (2000), " La Croissance et la Crise Est-Asiatiques au regard de la Régionalisation: le Rôle des Infrastrucures et des Réseaux ", Mondes en Développement, Tome 28, N°109.
__________ (2001) " L'Asie de l'Est Après la Crise : entre la Mondialisation et la Régionalisation ", Mondes en Développement, Tome 29, N°113/114.
Redding Gordon S. (1993), The Spirit of Chinese Capitalism, Berlin, W. de Gruyter.
De Sacy Alain (2002), " A.S.E.A.N. : Le Régionalisme Asiatique et la Mondialisation ", AcComEx, N°47, Septembre-Octobre, pp. 9-15.
Sgard Jérôme, Cadiou Loïc, Aglietta Michel, Benassy-Quéré Agnès (1997), " La Crise Financière en Asie ", La Lettre du Cepii, N°161, Octobre.
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__________ (1993), The East Asian Miracle - Economic Growth and Public Policy, Oxford University Press, Oxford.
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Yamazawa I. (ed) (1999), Strengthening Cooperation Among Asian Economics in Crisis, Institute of Developing Economies, Tokyo.

Thursday, September 14, 2006

Fa Gasy Aho

Tapa-bolana lasa izay no nanokafana an'ity sehatra ity. Ekena fa fohy loatra izany fe-potoana izany raha tena hanao jery todika ny fandehany isika. Na izany aza, misy ihany ny zavatra vitsy azo ambara.
Tany am-boalohany dia maro ny fanontaniana nipetraka toy ny hoe : atao amin'ny fiteny inona ary ny resaka eto. Raha ny nironan'ny saina aloha dia atao tamin'ny teny Anglisy izany satria dia io no fitenin'ireo mikirakira ny resaka toe-karena amin'ny ankapobeny. Indrisy anefa fa tsy tena mbola mahazo vahana loatra ny teny Anglisy ho an'ny Malagasy. Raha ny safidin'ny fo indray dia atao teny Malagasy ranoray ny resaka. Saingy sarotra ny mandainga fa maro ireo voambolana (indrindra teknika) izay tsy voafehy ka mety hitarika ny tena hanoratsora-poana. Noho izany dia ho tsinjo matetika eto ny fampiasana teny vary amin'anana (Malagasy-Anglisy-Frantsay) izay azo an-tsaina fa tsy dia hahafaly loatra ireo saro-piaro amin'ny fitenin-drazana. Kanefa tsy hatao olana izany raha heverina fa izay no hahafahana mampita hevitra. Na izany aza dia hanaovana ezaka ny hamoahana lahatsoratra misimisy amin'ny teny Malagasy, izay rahateo no nahatonga ny fanokafana sokajy : " Fa Gasy Aho ".
Tiana koa ny mitondra fanamarihana kely mikasika ilay fomba fanoratra nofinidy. Fanamby napetraka hatrany am-boalohany mantsy ny tsy hanaovana kitoatoa fa hitandremana ny kalitaon'ny vokatra eto. Izay no mahatonga ny lahatsoratra sasany ho lava satria anehoana fanadihadiana lalina. Voaray tokoa ny ako avy amin'ny mpamaky sasany hoe mavesatra sy manahirana ny mamaky lahatsoratra lava. Tsy hoe ny hamizana ny mpamaky anefa ny tanjona fa ny iarovana ny hevitra tian-kampitaina, ny itondrana porofo mivaingana (ohatra lahatsoratara nosoratan'ny manampahaizana, fanadihadiana nivoaka, ..) amin'izay zavatra soratana ary mba ialana amin'ny fanomezana fijery misavoam-boana fotsiny. Na izany dia hanaovana ezaka ny hamoaka lahatsoratra tsy dia ho lava loatra kanefa manaja ilay kalitao napetraka ho fanamby.
Dia hanao ahoana ary ny ho tohin'ny raharaha ? Rehefa nojerena ny antontan'isa mikasika ireo izay nitsidika ity sehatra ity dia misimisy ihany hoy ny tsy mahay manisa. Misy aloha ireo kisendrasendra ny tafiditra eto. Misy kosa ireo miverina mijery ny vaovao farany. Midika izany fa na dia kabary ambony vavahady aza no atao tsy dia kabary an'efitra loatra izany ary mahavelom-bolo sy mamporisika tokoa. Araka ny efa hita dia somary mielanelana ny fivoahan'ny lahatsoratra (izany hoe tsy isan'andro dia misy mivoaka foana) satria ny fanaovana lahatsoratra iray ohatra dia mety ilana fikarohana misimisy, ny fotoana anefa teren'ny andraikitra tsy maintsy iantsorohana ihany. Izay tsy fahampiana eo amin'ny lafin'ny isa izay dia hofenoana amin'ny kalitaon'ny lahatsoratra izay visavisaina ho tsara hatrany.

Tuesday, September 12, 2006

Blackboard - L'Espoir et le Doute

Cette fois-ci, nous parlerons d'un ouvrage de Sylvain Urfer (2006), L'Espoir et le Doute - Un Quart de Siècle Malgache, Série Questions Actuelles, Editions Foi et Justice, Antananarivo ; et particulièrement de la deuxième édition revue et corrigée de Mars 2006. Pourquoi ? D'abord, parce que nous sommes frappés par la noblesse de la triple motivation de l'auteur lui-même : " devoir de mémoire ", " souci d'information et de formation des plus jeunes générations ", " désir d'aider à la réflexion " [p. 7]. Secundo, car les rares publications sur la société Malagasy s'imposent naturellement comme ressources à étudier s'il faut connaître Madagascar. Tertio, tout simplement parce que c'est un excellent ouvrage.



De par son cursus académique brillant, comme le témoigne son titre de Lauréat de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, Sylvain Urfer aurait pu intégrer un prestigieux laboratoire de recherche à l'extérieur de Madagascar. Pourtant, il préfère être un praticien du développement en officiant comme curé (jésuite) dans un des quartiers les plus populaires de la Capitale à Anosibe tout en dirigeant le Centre Foi et Justice (oeuvrant dans le secteur social). Sylvain Uerfer est également membre du Sehatra Fanaraha-maso ny Fiainam-pirenena - SE.FA.FI. (ou Observatoire de la Vie Nationale) : un think tank bien connu à Madagascar. Ce bref portrait, bien que loin de cerner l'auteur, nous permet d'avoir une idée sur l'ouvrage. En effet, celui-ci est un recueil savamment équilibré d'articles, d'interventions de Sylvain Urfer pour le compte de revues de l'Eglise Catholique comme Projet, Etudes, ... ; pour le compte de revues plus académiques comme Politique Africaine, ... ; pour le compte de la société civile Malagasy comme le Comité National pour l'Observation des Elections - C.N.O.E. - Education des Citoyens, ...



La première partie de l'ouvrage et ses dix textes ne peuvent trouver un meilleur titre : " La vie nationale ". Plus précisemment, l'approche historique privilégiée par Sylvain Urfer prend pour point de départ le début des années 70 (1972). Ce repère temporel se justifie par l'arrivée dans la Grande Ile de ce prêtre à cette époque, mais aussi et surtout par le tournant, voire la rupture qu'elle a constitué. Les questions politiques, économiques, sociales, culturelles qui ont jalonné la vie de Madagascar jusqu'à la fin des années 90 y sont passées en revue. Le format de l'ouvrage ne nous permet pas d'y trouver des analyses approfondies sur tous les sujets. Néanmoins, nous avons des éclaircissements sur les grandes tendances (parfois avec la force des détails) qui se sont avérées décisives pour Madagascar. Sans complaisance mais avec une objectivité remarquable, les développements de Sylvain Urfer nous permettent aussi d'enrichir les explications sur les causes du non-développement de Madagascar, à travers entre autres le jeu des différents acteurs, les choix erronnées des politiques menées, l'absence de stratégie de développement et de projet de société : " autant dire que les pouvoirs publics, tout comme les partis politiques, n'ont aucune stratégie de développement, ni sectorielle, ni régionale (...) " [p. 95].



Dans la deuxième partie : " L'engagement chretien ", également constituée par dix textes, Sylvain Urfer a fait une véritable économie politique de l'Egise. Aussi, les grands enjeux comme le développement des pays du Tiers-Monde, l'insertion internationale de ces derniers, la pauvreté y sont traités selon les approches de l'Eglise. Pour ce faire, Sylvain Urfer s'est nourri du discours de l'Eglise tout comme d'exemples d'ailleurs, à l'instar du cas de la Tanzanie [p. 111 et s.] , selon une approche comparatiste. Bien sûr, l'auteur n'impose pas la vision de l'Eglise comme solution à adopter : " Constater l'impossibilité de tirer desorientations économiques cohérentes du discours social de l'Eglise n'est pas une nouveauté. L'Eglise en a elle-même exclu la possibilité " [p. 149]. Une attention particulière a également été accordée aux relations Eglises - Etat Malagasy : un sujet à la fois sensible et controversé mais pourtant crucial pour comprendre Madagascar. Comment effectivement ignorer ces acteurs incontournables du paysage politique Malagasy depuis les années 80 que sont les Eglises, notamment celles regroupées au sein du puissant Fiombonan'ny Fiangonana Kristiana eto Madagasikara - F.F.K.M. (ou Conseil des Eglises Chretiennes à Madagascar).



Arrivé à la fin de l'ouvrage, nous avons déjà envie de nous plonger dans la suite de celui-ci. Quelque part, nous regrettons même que son auteur n'ait pas intégré dans L'Espoir et le Doute, son article " La Nouvelle Donne Malgache ", paru dans Etudes, N°398-4, Avril 2003. D'autant plus que la période post-2002 n'est pas traitée par l'ouvrage. En tout cas, cet ouvrage nous parait une précieuse retrospective qui facilite la compréhension du présent et une préparation de l'avenir. Et gageons que Sylvain Urfer nous gratifiera bientôt de ses pertinentes observations et analyses.

Thursday, September 07, 2006

Feelings - How About Bizinesy ?

Si vous suivez les actualités malagasy à travers les médias, vous avez sûrement remarqué que ces dernières 24 heures, la quasi-totalité de ceux-ci ont largement commenté la sortie du dernier rapport de la World bank (ou Banque Mondiale) et de sa "filiale" l' International Finance Corporation - I.F.C. (ou la Société Financière Internationale) : Doing Business 2007 - How to Reform [ici].
Voyons d'abord, avec quelle sorte de publication avons-nous affaire. Lorsque ces institutions internationales ont imaginé cette série de publication au début des années 2000, elles partaient d'un constat : l'évaluation de l'environnement des affaires telle qu'elle est effectuée par les institutions comme la Herirage Foundation, le World Economic Forum, la Freedom House, ... concerne surtout les country risk (ou risque pays), l'international competitiveness (ou compétitivité internationale), ... Elles ambitionnaient alors de combler un vide : analyser l'environnement des affaires à travers des indicateurs quantitatifs sur les actions publiques (de régulation, de réglementation, ...) et sur l'efficience des institutions publiques. Depuis 2003 donc, elles publient annuellement un rapport contenant une multitude de données, classées en dix catégories entre autres celles de starting a business (ou de création d'entreprises), de protecting investors (ou de protection des investisseurs). Et comme il est commode au sein des organisations internationales d'utiliser des indicateurs dits composites depuis la création par Ul Haq Mahbub et Amartya Sen de l'Indicateur de Développement Humain - I.D.H. utilisé par l' U.N.D.P., la série Doing Business a le sien (ou les siens). Pour le compte de la Banque et de l'I.F.C., des universitaires comme Andrei Shleifer, Oliver Hart, Florencio Lopes-de-Silanes, ... ont conçu à partir de multitude d'indicateurs, la Ease of Doing Business, c'est-à-dire un indicateur de la facilité à faire des affaires. Un classement mondial des différentes économies du globe est alors tiré à partir de cet indicateur.
Un post beaucoup plus élaboré évoquera prochainement sur ce blog l'environnement des affaires à Madagascar et abordera entre autres les chiffres de Doing Business 2007 sur l'économie Malagasy [ici]. Mais dans celui-ci, nous parlerons de la manière avec laquelle les journaux ont rapporté la sortie du rapport. Par cette manière, nous avons une vérification de l'adage bien connu des statisticiens : " la statistique est l'arme la plus efficace dans l'art du mensonge ". Les organes de presse ont interprêté les données du rapport Doing Business 2007, selon leur couleur politique. Nous n'allons pas faire un procès aux journalistes quant à leur objectivité, à leur éthique, ... chacun peut avoir ses préférences et les afficher à sa convenance. Ce que nous voulons mettre en exergue, ce sont les informations erronnées qu'ils véhiculent. Prenons les deux cas les plus extrêmes dans le paysage de la presse écrite : La Gazette de la Grande Ile (le journal considéré comme le plus critique vis-à-vis des dirigeants) et Le Quotidien (dont la ligne éditoriale est tout le contraire de celle de La Gazette politiquement parlant). La Une de La Gazette dans son édition du 07 Septembre 2006 : " D’après la Banque mondiale : Le climat des affaires se détériore " [ici] n'annonce rien de bon pour les tenants du Régime et leurs partisans. Au vu des classements du rapport Doing Business 2007 où Madagascar a avancé dans seulement trois catégories, stagné dans une catégorie et regressé dans six catégories, les matières à alimenter les critiques ne sont pas rares. Et (naturellement ?), La Gazette ne s'en est pas privée. Par contre, là où c'est drôle de lire l'article, c'est quand le journaliste écrit que les Comores sont classés 14ème (dans le classement général). Est-ce une faute de frappe, d'inattention ou une véritable incompétence ? Quelle que soit la cause de cette erreur, cette information devrait frapper dès la première lecture de l'article. Il ne s'agit pas rabaisser nos voisins Comoriens mais les classer à la 14è place mondiale comme le pays où il est le plus facile de faire des affaires, c'est quand même fort. Et après recoupements, nous verrons qu'en fait, les Comores se trouvent à la 144è place, ce qui fait quand même 130 places de différence.
Le côté amusant de nos amis journalistes est encore plus marqué dans la maison d'en face : chez Le Quotidien. Contrairement à La Gazette, Le Quotidien du 07 Septembre 2006 [ici] a surtout parlé des généralités du rapport, ce qu'il l'a amené à donner des bribes d'informations qui n'ont pas beaucoup de pertinence : par exemple, il évoque qu'il y a eu 213 réformes dans 112 pays au cours du premier semestre 2006, et là nous avons envie de dire : et alors ? Quand Le Quotidien parle du recul dans le classement général de Madagascar passant de la 148è place en 2005 à la 149è en 2006, il argumente que " ce recul doit être relativisé par son éligibilité dans le Compte du Millénaire. Cet honneur signifie que les bailleurs de fonds de l'Association internationale pour le développement (Ida) gardent confiance ". Le côté drôlissime monte alors d'un cran. Faut-il rappeler que le Millennium Challenge Account - M.C.A. (ou Compte du Millénaire) est un dispositif des Etats-Unis géré par la Millenium Challenge Corporation - M.C.C. et n'a donc rien à voir avec l'I.D.A. qui est la filiale de la Banque Mondiale s'occupant des pays pauvres ? Mais là où l'article fait le plus rire c'est quand le journaliste l'intitule : " Madagascar a engagé des réformes positives au niveau de la création d’emplois ". Nous avons cherché qu'est-ce qui a incité ce journaliste à titrer ainsi son papier. En fait, il voulait certainement parler des réformes considérées comme positives dans le rapport notamment sur les conditions de création d'entreprises. Sur ce plan, Madagascar a, en effet, amélioré son classement (l'une des trois améliorations sur les dix catégories de classement) en gagnant 28 places entre 2005 et 2006. Seulement voilà, le journaliste se trompe complètement s'il croit que conditions de création d'entreprises riment forcément avec conditions d'embauches et donc de création d'emplois. Il ne sait probablement pas que les indicateurs relatifs à l'embauche retenus par le rapport Doing Business montrent que la situation s'est dégradée à Madagascar entre 2005 et 2006 (avec un indicateur synthétique passant de 43 à 57, reflétant cette forte détérioration). Peut-être aussi que cela a échappé au journaliste qu'en matière d'embauche, Madagascar a perdu 36 places par rapport à l'année précédente. Donc, afficher comme titre que des réformes positives ont amélioré la création d'emplois, cela relève un peu de la clownerie.
L'illustre John Kenneth Galbraith a écrit qu' : " en économique, sauf de rares exceptions, tout ce qui compliqué est sans importance ", pour souligner le caractère simple de sa science. Mais de là à conclure que tout le monde peut s'improviser économiste, ...

Friday, September 01, 2006

Analysis - A Quoi Jouent-Ils ? ou Les Relations Madagascar - F.M.I. : un Essai d'Interprétation en termes d'Economie Politique Internationale

Le 21 Juillet 2006, s'est réuni à Washington, le Board (Conseil d'Administration) du Fonds Monétaire International (F.M.I.) pour adopter un accord triennal d'aide en faveur de Madagascar. Ce contrat entre dans le cadre du dispositif Poverty Reduction and Growth Facility – P.R.G.F. (ou Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance – F.R.P.C.) de cette institution (1). Jusque là, cela fait plus d'un an que la Grande Ile n'a pas de programme officiel avec le Fonds, ce qui paraît une éternité. Pourtant, de par le poids de ce dernier, l'existence d'un tel accord pour un Pays En Développement (P.E.D.), de surcroît pauvre, est d'une importance majeure. En effet, si nous citons par exemple les héritages du Consensus de Washington [J. Williamson : 2003, p. 11] (2), nous retrouvons le rôle de chef de file qu'assume le Fonds par rapport à la plupart des acteurs internationaux de l'aide publique au développement.
La chronologie de l'attente de ce programme depuis la visite officielle en juin 2005 à Madagascar du Directeur Général Adjoint du F.M.I., Anne O. Krueger, qui témoigne de son accouchement difficile (3) est souvent associée aux conditionnalités de l'institution internationale. Il nous apparaît alors impératif de voir : quels sont les fondements et les réalités de ces conditionnalités ? A l'approche de l'écheance des présidentielles de la fin de l'année 2006, la perception de l'obtention des appuis du F.M.I. peut prendre une autre tournure. Pouvons-nous qualifier d'exploit (politique et/ou technique) des policy makers (responsables politiques) le fait d'arracher la signature du Board ? Pour ce qui est du F.M.I. se prévalant d'avoir un bon dossier à travers Madagascar (4), tire-t-il une quelconque bénéfice de cet accord ? Pouvons-nous nous réjouir de cet accord et estimer qu'il serait le gage d'un lendemain meilleur pour Madagascar ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d'apporter des réponses dans le présent article.
La principale vocation de cet article est de susciter des réflexions, d'enrichir les débats et d'éclairer les opinions sur des points auxquels nous ne faisons pas toujours attention. Si nous analysons les faits sous l'angle purement économique (avec l'œil de l'Economie Internationale Standard), nous serons réduit à répéter ce que nous savons déjà à peu près : Madagascar éprouve des besoins de développement que ses seules ressources ne peuvent satisfaire. Il sera alors contraint de recourir à une institution internationale tel que le Fonds. La place et le rôle de ce dernier seront considérés comme une donnée. Les conditions du partenariat se résumeront à l'élaboration d'un programme économique et à la mise en œuvre de mesures de politique économique pour l'un et au déblocage de tranches d'aides pour l'autre. En somme, nous aurons une appréciation forcément et fortement limitée. Voilà pourquoi, la démarche que nous suivrons empruntera beaucoup à l'Economie Politique Internationale – Epi comme système d'interprétation et système de théorisation. Gérard Kébabdjian définit l'Epi comme " une approche pluridisciplinaire dont l'objet est l'étude de l'économie mondiale dans ses dimensions à la fois économiques et politiques " [P. Berthaud, G. Kébabdjian (dir.) : 2006, p. 9]. En articulant quatre dimensions : l'économie, le politique, le national et l'international, l'Epi offre une grille de lecture extrêmement riche. L'intérêt de l'Epi est aussi académique pour un pays comme Madagascar. Effectivement, nous constatons [C. Chavagneux : 1998, p. 27 ; G. Kébabdjian : 1999, p. 9 ; M.C. Kessler (prés.) : 2004, p. 858 ; ou récemment P. Berthaud, G. Kébabdjian (dir.) : 2006, p. 9 et s.] dans ce domaine un relatif retard des pays francophones et de certains P.E.D. comme Madagascar dont le milieu universitaire est sensiblement formaté par le système francophone (notamment français). Cet article constitue donc également un pas, certes moindre, dans l'immense champ de recherches pour les francophones (et les francophones originaires des P.E.D.) sur ce que le monde anglo-saxon appelle la Political Economy, domaine qui étudie les interactions entre politique, ordre institutionnel et économie.
I. Les conditionnalités : au coeur des relations avec le Fonds
Au centre des relations avec le F.M.I. se trouvent les conditionnalités. Leur conceptualisation évolue au même titre que la doctrine affichée par cette institution. Quant à leur implémentation sur le terrain, le jeu des parties prenantes s'apparente à un jeu d'hypocrites, pour ne pas dire de tricheurs.
I. A. Les conditionnalités : entre évolution et constance
Historiquement, l'instauration des conditionnalités par le Fonds s'est faite avec la création du dispositif de Stand-by Arrangements (ou Accord de Confirmation) en 1952. Depuis, les conditionnalités sont passées par plusieurs phases majeures d’évolution.
Au départ, la pratique des conditionnalités cadre avec la mission originelle du F.M.I. qui est d'aider un pays face à un problème conjoncturel de balance des paiements. D'après la décision N° 102 – (52/11) du Board le 13 Février 1952 : " l'aide financière du F.M.I. sera effectivement affectée à la mise en œuvre des mesures qui permettront de restaurer une position de la balance des paiements viable et de rembourser dans un délai raisonnable " [F.M.I. : 1976, p. 39]. A partir de là, nous pouvons dire que les conditionnalités devraient être définies pour permettre à ce pays de se passer de l'intervention même du Fonds. Avec l'entrée dans l'ère de l'ajustement structurel des années 80 et 90, les conditionnalités sont devenues plus dures. Nous pouvons, à titre d'illustration, citer l'abandon par Madagascar du régime de change fixe glissant au profit d'un régime de change flottant en Mai 1994 (5), ce qui constitue une décision politiquement difficile comme le montre la forte inflation durant les mois suivants (48.5% en moyenne annuelle en 1995). En outre, le nombre des conditionnalités a considérablement augmenté surtout avec la multiplication des conditionnalités structurelles dont les structural benchmarks, présentées de fait par les gouvernements des pays sous-programme et les personnels du F.M.I. comme des critères de conditionnalité sans en avoir le statut. En moyenne dans un programme, les conditionnalités structurelles sont passées de 3 au début des années 80 à 15 à la fin des années 90 [M. Khan, S. Sharma : 2002, p. 29]. Cette évolution qui fait sortir le F.M.I. de son champ traditionnel est expliquée comme le résultat de la faiblesse de la Banque dans les programmes sectoriels censés être appuyés par cette dernière [C. Chavagneux : 2001, p. 165].
Quarante ans après leur apparition, la définition générale des conditionnalités n'a pas changé. Elles se réfèrent toujours aux conditions pour assurer que les ressources du Fonds soient octroyées aux pays membres afin de les aider à résoudre leurs problèmes de balance de paiements conformément aux statuts du Fonds et aussi de servir de garanties dans l'utilisation temporaire des ressources du Fonds (6). Mais les nouvelles missions que se sont données les institutions internationales ont apporté des changements dans la pratique des conditionnalités. Vers la fin des années 90, ces institutions, sous l'impulsion de celles de Bretton Woods (I.B.W.) se sont lancées dans les stratégies de réduction de la pauvreté [cf. entre autres : J.P. Cling, M. Razafindrakoto, F. Roubaud (dir.) : 2003]. L'un des points saillants de ces stratégies est leur gouvernance pro-pauvres se basant essentiellement sur la participation (7). En consacrant le processus participatif, les bailleurs de fonds sont amenés à revoir leur conception des conditionnalités. Autre facteur de changement : les conditionnalités n'ont cessé de subir des critiques de plus en plus virulentes tant de la part d'intellectuels, des dirigeants des pays sous programme que des réseaux associatifs (comme les altermondialistes, …). Les critiques sont évidemment arrivées jusqu'aux instances dirigeantes des institutions internationales elles-mêmes. Par exemple à la fin des années 90, lorsque le F.M.I. a lancé une série de séminaires d'évaluation de ces conditionnalités par des personnalités externes à l’institution, de nombreux participants ont sévèrement jugé la pratique de celles-ci [F.M.I. : 2001, p. 3]. La tendance est ainsi au recentrage des conditionnalités sur les sphères de compétences primordiales de chaque institution. C'est dans cette optique que le F.M.I. a décidé d'alléger la conditionnalité structurelle dans tous les accords au titre de la F.R.P.C. et des initiatives ultérieures [S. Gupta et al. : 2002, p. 19].
Quand le Fonds construit ses conditionnalités, il ne se réfère pas à un courant de pensée unique. En effet, si nous regardons les grands économistes que comptent le F.M.I. et/ou qui comptent pour le F.M.I. depuis sa création (Jacques Polak, Milton Friedman, ...) ou plus récemment (Anne O. Krueger, Kenneth Rogoff, …), ils sont affiliés à plusieurs courants. Ces courants qui font partie du mainstream ou de l'orthodoxie [B. Gerbier : 1996] enrichissent la doctrine de cette organisation, chacun sur une question particulière. Deux courants ont le plus influencé le Fonds ces dernières années : la New Classical Economics - N.C.E. (ou la Nouvelle Economie Classique - N.E.C.) et la New Political Economy - N.P.E. (ou la Nouvelle Economie Politique - N.E.P.). L'une des contributions de la N.C.E. à la doctrine du F.M.I. réside dans son approche macroéconomique selon le modèle des anticipations rationnelles. Parmi ses principales propositions, nous pouvons retenir l'idée que la crédibilité des policy makers repose sur des règles stables connues de tous. Le choix de la politique économique, quant à lui sera tributaire de cette crédibilité. Ce sont Finn E. Kydland et Edward C. Prescott [1977] qui ont introduit cette question dans le cadre du thème de l'incohérence temporelles des politiques discrétionnaires. D'autres auteurs comme Robert J. Barro et David B. Gordon [1983] ont abondé dans ce sens et ont peaufiné l’approche (dans le cadre de la politique monétaire, ...). Exprimé autrement, pour la N.C.E., l'Etat doit renoncer à son pouvoir discrétionnaire au profit de règles ou d'engagements crédibles adoptant ce que ce courant qualifie de constitutionnalisme économique. La N.P.E., où nous retrouvons des auteurs comme Anne O. Krueger [1993], quant à elle, sert de référence intellectuelle pour la lecture de l'environnement politique dans lequel s'insère les prescriptions du Fonds. Dans la lignée de l'école du public choice (ou des choix publics) de James M. Buchanan, Robert D. Tollison et Gordon Tullock [1980], la N.P.E adopte une conception fonctionnaliste de l'Etat. Ainsi préconise-t-elle d'une part, un recentrage des fonctions de l'Etat pour l'efficacité du marché. Cette instrumentalisation de l'Etat cadre avec ce que Bonnie Campbell qualifie de market oriented model [B. Campbell, " La Gouvernance : une Notion Eminemment Politique ", in H.C.C.I. : 2001, p. 131]. D'autre part, elle propose un renforcement des institutions pour la réussite de cette instrumentalisation. L'efficacité institutionnelle mise en exergue par la N.P.E. comme préalable au développement et condition de réussite des réformes (des I.B.W.) s'appuie sur la notion de gouvernance. Ici, l'efficacité correspond à la définition d'Arturo Israël, " le concept d'efficacité est plus large et englobe la capacité d'une institution à définir et mettre en œuvre des objectifs opérationnels adéquats " [A. Israël : 1996, p. 14]. Quant à la gouvernance, sa définition suit une approche techniciste qui fait qu'elle est pratiquement synonyme de gouvernement ou d'administration publique [M.C. Smouts : 1998, p. 88], d'où des termes comme capacity building (renforcement de capacités) accompagnant le discours sur les réformes.
Eu égard de ces approches théoriques, nous comprenons mieux les reproches faites par le F.M.I. sur la politique économique adoptée à Madagascar et ayant conduit à certaines conditionnalités. Le premier exemple que nous citerons concerne la politique de détaxation en 2003 [République de Madagascar : 2003b] qui n'a jamais été appréciée par le Fonds la considérant comme en contradiction avec ses approches [F.M.I. : 2005, p. 28 et s.]. Lorsque Madagascar s'est aligné aux processus internationaux de réduction de la pauvreté, il s'est engagé à rédiger un Poverty Reduction Strategy Papers - P.R.S.P. ou Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté – D.S.R.P., finalisé en Juillet 2003. Dans l'optique du F.M.I., les mesures de politique économique à implémenter devraient se référer à ce document qui a reçu son aval (conformément au constitutionnalisme économique). Pour le Fonds, en mettant en œuvre la détaxation qui ne cadre ni avec l'esprit ni avec la lettre du P.R.S.P. [République de Madagascar : 2003a, p. 70 et s.], les Autorités se sont déviées de la règle et se sont lancées dans un comportement discrétionnaire. En conséquence, l'une des conditionnalités que le Fonds a exigée est la remise en cause de la détaxation dès Juin 2004 [République de Madagascar : 2004]. Un autre exemple concerne la mise en œuvre de la politique budgétaire. Quand le F.M.I. évoque les significant spending overruns ou dérapages budgétaires importants (une qualification très forte dans le langage diplomatique) des finances publiques en 2005 [F.M.I. : 2006a], il ne parle pas uniquement des conséquences sur l'équilibre de ces dernières. Il met aussi le doigt sur la faiblesse institutionnelle en matière de respect de la chaîne de dépenses, … Ce qui nous ramène aux thèmes traités par la N.E.P. comme l'efficacité institutionnelle, la gouvernance, …
I. B. Les conditionnalités : une institutionnalisation d'un jeu d’hypocrites
Dans pratiquement tous les pays sous programme et à Madagascar particulièrement, les conditionnalités n'ont jamais été respectées dans leur intégralité par les policy makers. Pourtant en face, le Fonds continue à octroyer ses aides, nous conduisant à voir les motivations autres que les conditionnalités qui entrent également en calcul pour cette institution.
En fait, c'est depuis le début des années 90 que de nombreux auteurs sont arrivés au constat que dans les relations avec les bailleurs étrangers (dont le F.M.I.), les conditionnalités seront en général esquivées sans aucune sanction de la part des donateurs à moins qu'une compensation soit octroyée aux perdants des réformes et/ou que les conditionnalités soient crédibles. Parmi ces auteurs, Paul Mosley et al. [1991] ont analysé les contournements des conditionnalités définies par plusieurs bailleurs. Ils ont alors identifié un jeu de marchandages où les conditionnalités équivalent à un échange de réformes. Les policy makers des pays bénéficiaires, lorsqu'ils ont une parfaite information sur le dispositif des bailleurs, en jouent notamment les bailleurs les uns contre les autres, pour reporter ou neutraliser les réformes, d'où les termes de revente de réformes, employés par des auteurs comme Paul Collier [1997]. Par la suite, il y a eu aussi de multiples études qui évoquent des situations allant plus loin que les seuls jeux de report ou de marchandages. Celles-ci montrent que sur une longue période de jeux répétés entre policy makers et bailleurs, il s'avère que, quoi que fassent les premiers, le jeu continue et globalement, les bailleurs reviendront toujours et ont souvent accepté le non-respect des conditionnalités. Le modèle de théorie des jeux utilisé par Paul Mosley [1996] aboutit à une issue d'équilibre de stratégies dominantes où le bénéficiaire ouvre toujours une brèche dans n’importe quelle conditionnalité et le bailleur finance sans interruption les réformes sachant qu'il sait très bien le non-respect des conditionnalités.
L'histoire des relations Madagascar – F.M.I. [F.M.I. : 2005] ne déroge pas à ce jeu d'hypocrites où chacun sait que l'autre triche, et que les motivations réelles ne sont pas celles avancées lors des négociations. Paraphrasons Sylvain Urfer [2006, p. 94] à ce sujet : " Le rapport des forces jouant entièrement en défaveur des Autorités malgaches, celles-ci n'ont pas d'autre parade que de multiplier les obstacles intérieurs à la mise en œuvre d'un programme qu'elles n'approuvent qu'en apparence. Le jeu se prolonge (...) avec des avancées périodiques lorsque le contexte politique et électoral le permet, et des versements sans cesse annoncés, puis fractionnés, enfin consentis goutte à goutte ". Analysons le respect ou le non-respect des conditionnalités par les policy makers Malagasy. Madagascar a jusqu'ici bénéficié de trois programmes du Fonds : deux Enhanced Structural Adjustment Facility – E.S.A.F. ou Facilité d'Ajustement Structurel Renforcée – F.A.S.R. conclues le 15 Mai 1989 et le 2 Novembre 1996, ainsi que d'une P.R.G.F. adoptée le 1er Mars 2001. La première E.S.A.F. a été interrompue par la crise politique de 1991-1992, si bien que même si tous les critères quantitatifs définis par le Fonds ont été respectés, seuls 66.7% des fonds de ce programme ont été effectivement décaissés. Les ratios des tirages en ce qui concerne la deuxième E.S.A.F. (1996) et la P.R.G.F. (2001) sont très élevés : 96.9% pour l'un (la part des sommes d’aides non décaissées est très faible) et 100% pour l'autre (ce qui signifie que le F.M.I. a décaissé tout ce qui était prévu de l’être). Pourtant, pour ces deux programmes, environ 50% des critères quantitatifs n'ont pas été respectés. Lorsque nous intégrons les conditionnalités structurelles, au nombre d'une dizaine pour l'E.S.A.F. de 1989, une vingtaine pour l'E.S.A.F. de 1996 et une trentaine pour la P.R.G.F. de 2001 (8) dans l'évaluation du respect de la totalité des conditionnalités, nous avons un taux de respect de 40% pour l'E.S.A.F. de 1996 et 87.5% pour la P.R.G.F. de 2001. Notons que pour cette dernière, la date d'expiration du programme a été reculée à deux reprises : au 30 Novembre 2004, puis au 1er Mars 2005, ce qui relativise la mise en œuvre des conditionnalités et la performance du taux de respect de 87.5%. A partir de ces constats, nous pouvons dire que les conditionnalités ne sont pas les seuls paramètres analysés par le Fonds pour décider de la poursuite de ses flux financiers.
Une première raison conduisant le Fonds à fermer les yeux sur le contournement des règles qu'il a établis est relative à ses tendances libérales, en particulier la considération que cette institution accorde à la question morale. En effet, les fondateurs du libéralisme ont largement traité et résolu la question morale. Certes, il y a des courants libéraux qui écartent de leur approche le paramètre moral. Ces courants sont symbolisés entre autres par von Hayek, notamment lorsque celui-ci écrit que la justice sociale est une expression " intellectuellement inconstante " et " une marque de démagogie ou d'un journalisme à bon marché que des penseurs responsables devraient avoir honte d'utiliser " [F.A. von Hayek : 1976, p. 96 et s.]. Mais l'influence la plus palpable au niveau de l'orthodoxie en matière d'économie de développement la met dans la lignée de Léon Walras. L'approche walrassienne défend l'idée que la politique économique libérale est un mode de gouvernement des richesses qui est juste : Léon Walras parle alors de " justice productive " [B. Lautier : 2002, p. 142]. Toutefois, elle reconnaît aussi que ce qui est " juste " n'est pas forcément " moral ", il relève donc de l'économie de développement, telle qu'elle est conçue par les orthodoxes (9) de mettre en œuvre des décisions dont les résultats seront conformes à la morale, sans être contradictoires avec la justice. Les tenants du libéralisme qui avancent même que leur science est une science " morale " [A. Sen : 1999], ne sont pas contre des décisions à caractère humanitaire, toujours au nom de cette morale. Revoyons le cas de Madagascar avec les péripéties du déblocage de la 5è tranche de la P.R.G.F. de 2001. Après la crise de 2002, le réaménagement du calendrier de ce programme prévoyait cette 5è tranche pour Novembre 2003 [F.M.I. : 2003, p. 32]. Le non-respect de certaines conditionnalités comme l'adoption de certaines politiques (notamment la détaxation) ont conduit le Fonds à retarder le décaissement de cette 5è tranche. Et bien que des mesures pour corriger les politiques incriminées ont tardé à venir (10), devant d'autres événements comme le cyclone qui a frappé Madagascar au début de Mars 2004, le F.M.I. a fait preuve d'une rare célérité si bien que le déblocage qui n'a pu se faire en cinq mois a été rendu possible en quelques jours avec en prime une aide exceptionnelle de 12.2 millions de Dts supplémentaires [F.M.I. 2004].
La signification donnée par les I.B.W. à la results culture (culture de résultats) ainsi que des cultures propres à celles-ci comme la lending culture (culture de prêt) et l'approval culture (culture d'approbation) expliquent également le comportement du Fonds qui ne sanctionne pas le non-respect de ses conditionnalités. Nous ne devons pas oublier que le Fonds est une agence de crédit, une banque (John Maynard Keynes ne disait-il pas lors de la création de ces deux organisations que " le Fonds aurait dû s'appeler la Banque et la Banque : le Fonds " ?). Or, pour une banque, un prêt est un résultat conformément à l'adage : " les prêts font les dépôts " ; lorsqu'il est remboursé, ce prêt est un bon résultat. La volonté de multiplier les crédits à octroyer en vue d'améliorer le résultat de l'institution est encore plus forte si nous nous référons à l'idée de certains auteurs soutenant que les I.B.W. sont des banques ayant pour vocation de faire des profits [Paul Mosley et al. : 1991]. En tout cas, il en résulte une pression conduisant au surfinancement des pays emprunteurs [Marc Raffinot : 2002, p. 9]. En outre, il faut souligner le jeu des fonctionnaires du Fonds dans l'octroi d'une aide. Comme dans toute instance bancaire, le montage d'un dossier est soumis à de multiples instances de contrôle, mais avec plus de relief pour les I.B.W. vu les sommes engagées et les enjeux politiques. Des contacts réguliers sur place (entre le représentant résident du Fonds et les fonctionnaires nationaux) à la programmation du dossier d'un pays dans l'agenda du saint des saints : le Board, en passant par les multiples services techniques, l'ensemble du processus représente donc pour le personnel un véritable parcours de combattant. " L'ensemble des services, divisions et instances de contrôle est nécessairement tourné depuis des décennies vers ce but architectonique, cette reine de la fourmilière, qu'est l'approbation d'un prêt par le Conseil d'Administration ", écrit à juste titre Jean-François Baré [1997, p. 53]. Aussi ne faudra-t-il pas s'étonner si une décision positive est traditionnellement fêtée par une wine and cheese party à la mode de Washington. L'optique carriériste prend une autre ampleur pour les fonctionnaires en charge du Dossier Madagascar, compte tenu du fait que les I.B.W. recherchent une certaine success story dans cette région du globe [J.P. Cling, M. Razafindrakoto, F. Roubaud (dir.) : 2003].
II. Le nouvel accord P.R.G.F. de 2006 : l'illusion d'une configuration harmonique
En termes de théorie des jeux, une configuration est dite harmonique en ce sens que le gain d'un joueur est maximal quand le gain de l'autre joueur est également maximal. Comme nous l'avons vu dans la première partie, dans le cadre d'un accord de type P.R.G.F., le gain du F.M.I. s'accroît si le programme se déroule dans le bon sens. Quant au pays sous programme, son gain est en corrélation positive avec l'appui du Fonds. Il nous apparaît maintenant intéressant d'analyser si l'accord conclu le 21 Juillet 2006 tend vers une configuration harmonique et peut être considéré comme un partenariat de winner-winner (gagnant-gagnant).
II. A. Du côté du F.M.I. : une crédibilité sur le fil du rasoir
Nous ne saurions occulter le contexte, en l'occurrence la rédaction du M.A.P. (Madagasikara Am-Perinasa ou Madagascar Action Plan ou encore Madagascar A Pied d'œuvre), dans lequel s'est construit le nouveau programme avec le Fonds. Le sort du programme du F.M.I. est donc étroitement lié à celui du M.A.P. de 2006.
Pour la première fois après un quart de siècle de collaboration avec le F.M.I., les policy makers sont à l'initiative du document de base des relations avec cette institution et avec l'ensemble de la communauté des donateurs. Effectivement, les Policy Framework Papers – P.F.P. (ou Document Cadre de Politique Economique – D.C.P.E.) de 1996 et de 1999 ; l'Interim P.R.S.P. (ou D.S.R.P. Interimaire – D.S.R.P.I.) de 2001 et le P.R.S.P. de 2003 mis à jour en 2005 (pour ne citer que les récents documents) ont tous été inspirés par les dispositifs des bailleurs. Le choix de la date de lancement officiel du processus M.A.P. : le 29 Mars (une date ayant une forte connotation patriotique à Madagascar) est significatif pour marquer l'aspect national de celui-ci. Cela nous incite à étudier la position de ces derniers face à l'émergence d'un document qui n'émane pas d'eux. Dans une certaine mesure, le M.A.P. ne constitue pas une révolution par rapport au P.R.S.P., comme l'expliquent les policy makers dans le Memorandum of Economic and Financial Policies (ou Memorandum de Politiques Economique et Financière) annexé à la Letter of Intent – L.O.I. (ou Lettre d'Intention) du 06 Juillet 2006 adressée aux dirigeants du Fonds [Minister of Economy, Finance and Budget, Governor of Central Bank of Madagascar : 2006]. Dans l'hypothèse du changement de nom, le M.A.P. ne pose pas problème car les I.B.W. laissent des marges de manœuvre en ce qui concerne l'appellation des documents contenant les stratégies de réduction de pauvreté. Par exemples, le document Mozambicain a pris l'appellation de Action Plan for the Reduction of Absolute Poverty – A.P.R.A.P. (11) ; celui du Viêt-Nam s'intitule Comprehensive Poverty Reduction and Growth Strategy – C.P.R.G.S. (12). Cela dit, il semble que le M.A.P. se veut être plus qu'un changement d'appellation si nous nous référons aux propos du Chef de l'Etat Malagasy devant les représentations étrangères à Madagascar, le 13 Avril 2006 [Présidence : 2006]. Devant un tel cas de figure, les bailleurs n'écartent leur scepticisme que sous certaines conditions à l'instar du cas du Nicaragua qui a connu un bras de fer de plusieurs mois avec les bailleurs en instaurant un processus parallèle à son P.R.S.P. (13). La principale condition exigée par les bailleurs est l'établissement de lien entre le nouveau document (le M.A.P.) et l'ancien (le P.R.S.P. de 2003, mis à jour en 2005). C'est dans optique que lorsque les policy makers se sont adressés officiellement au F.M.I. (par le biais de la L.O.I. du 06 Juillet et ses annexes), ils ont souligné que le M.A.P. sera établi dans la continuité du P.R.S.P. après la fin de celui-ci (à la fin 2006). En outre, les grandes lignes des stratégies dans les deux documents sont semblables comme l'atteste le paragraphe 10 du Memorandum of Economic and Financial Policies. L'idée du M.A.P. est dans ces conditions reçue positivement par le Fonds. Ce dernier considère d'ailleurs le M.A.P. comme la seconde génération de P.R.S.P. de Madagascar [F.M.I. : 2006d, p. 10].
Sous l'angle de la gouvernance des stratégies, la rédaction du M.A.P. (contrairement à l’E.NA.DE. du Nicaragua) présente l'avantage de se conformer à l'économie politique introduite par les bailleurs qui consacre le processus participatif. Le lancement des stratégies internationales de réduction de pauvreté à la fin des années 90 a, en effet, instauré comme élément fondamental de celles-ci la participation ou le processus participatif. Selon la définition du Sourcebook (14), il s'agit d'un " processus à travers lequel les agents influencent et partagent le contrôle sur la fixation des priorités, la définition des politiques, l'allocation des ressources et l'accès aux services publiques " (15). Fondamentalement, la participation est basée sur la théorie du capital social, développée surtout par James S. Coleman [1990] et Robert Putnam [1993] (16). Les deux versions de la théorie, selon ces auteurs, ont été exploitées par les I.B.W., comme le fait remarquer Pierre Englebert : " la Banque Mondiale et le même le Fonds Monétaire International y font régulièrement référence dans leurs discours et publications officiels " [P. Englebert, " La Banque Mondiale et la Théorie du Capital Social " in F. Nahavandi : 2003, p. 165]. Voilà pourquoi la Banque [2000, p. 2] écrit : " tout en nous procurant une mesure du capital social existant, les processus participatifs sont aussi un moyen de construire du capital social à long terme ". Le fait que le concept de participation soit importé n'est pas sans poser de problèmes si bien que dans presque tous les pays, le Fonds et la Banque ont observé des pratiques " quelques peu improvisées " [F.M.I., Banque Mondiale : 2002, p. 9]. Néanmoins, Madagascar semble capitaliser les expériences de la rédaction du P.R.S.P. de 2003. Lors des consultations pour l'élaboration de ce dernier entre 2001 et 2003, les ateliers régionaux ont été organisés autour des problématiques thématiques [République de Madagascar : 2003a, p. 4]. Cette méthodologie a comme inconvénients de limiter les aspirations exprimées au cours de certains ateliers dans certaines régions à des questions spécialisées ; de plus, la synthèse et l'articulation des thèmes de multiples régions ne sont pas évidentes. Les consultations en vue du M.A.P. sont plus conçues en vue de ratisser large sur le plan géographique (un atelier pour chacune des Régions).
Toutefois, ce que nous pouvons qualifier de dilemme de la conditionnalité, vient souvent saper les efforts consentis dans le processus participatif. Le dilemme a déjà été constaté lors du bouclage du P.R.S.P., pareillement aux cas de nombreux pays. En principe, la consécration du processus participatif devrait alléger les conditionnalités des bailleurs. De plus, les interventions respectives de ces derniers devraient être harmonisées conformément au concept d'alignement [M. Jaudoin, B. Leclerc : 2003, p. 3]. Ce concept a incité les I.B.W. à mettre en place les Joint Staff Assessments – J.S.A. (ou Missions Conjointes d’Evaluation – M.C.E.) qui servent de procédure commune d’évaluation des stratégies (dans les P.R.S.P.). Mais dans la pratique, nous apercevons une internalisation de conditionnalités dans le processus de réduction de la pauvreté imaginé sur le plan international. Pour reprendre les termes de la C.N.U.C.E.D [2002, pp. 208-209] : " la simple réalisation de la dépendance à l'égard de l'évolution conjointe réalisée par les services du F.M.I. et de la Banque Mondiale et de l'approbation par les Conseils d'Administration de ces institutions limite la liberté d’action ". Dans ces conditions, les libertés d’élaboration technique sont compromises quand les policy makers savent déjà ce qu'attendent les I.B.W. dans les J.S.A. et évitent de laisser libre cours aux imaginations pour élaborer des politiques qui iraient à l'encontre de ces attentes. Nous avons alors un comportement des policy makers, étiqueté de self censorship (ou autocensure) [O.D.I. : 2001, p. 29]. Le dilemme est encore accentué par l'imbrication de l’agenda de la réduction de la pauvreté avec celui de la réduction de la dette. Aussi, le P.R.S.P. est surtout considéré comme une conditionnalité en vue de bénéficier de la Heavily Indebted Poor Countries Initiative – H.I.P.C. (ou Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés – I.P.P.T.E.). Devant les représentations étrangères à Madagascar, le 13 Avril 2006, le Chef de l’Etat Malagasy a bien spécifié que le P.R.S.P. a permis d'accéder au completion point (ou point d’achèvement) : la phase ultime de la H.I.P.C. [Présidence : 2006], justifiant par là, la nécessité de passer au M.A.P., mais laissant aussi présager que dans le processus P.R.S.P. de 2003, l'objectif de réduction de la dette a pris le pas sur celui de la réduction de la pauvreté.
Dans le cadre de la rédaction du M.A.P., le dilemme de la conditionnalité n'a pas disparu. Il est en train de changer de nature et semble même être plus aigu que lors de l’élaboration du P.R.S.P. en 2003. Pour s'en convaincre, partons des multiples étapes qui échafaudent le processus M.A.P. lancé cette année 2006. Au début, nous avons la définition des grandes lignes des stratégies à travers une première traduction technique des idées politiques notamment celles des policy makers contenues dans la vision présidentielle Madagascar Naturellement et déjà intégrées dans la mise à jour du P.R.S.P. en Juin 2005 [République de Madagascar : 2005, pp. 5-12]. Viennent ensuite les consultations (régionales et nationales) pour enrichir les stratégies grâce aux aspirations exprimées par les différentes acteurs qui y participent. Ce n'est qu'après ces deux grandes étapes qu'un travail de synthèse est effectué et au cours duquel seront peaufinés entre autres : les objectifs intermédiaires des stratégies, les indicateurs y afférant et la matrice des mesures de politique économique à implémenter. Le bouclage du M.A.P. est censé se faire en Octobre 2006 pour être soumis à l'Assemblée Nationale Malagasy en même temps que la Loi des Finances 2007. Là où ce processus M.A.P. devrait nous interpeller, c'est que l'accord P.R.G.F. de 2006 a été conclu en pleine période des ateliers régionaux de consultation. Or, l'approbation d'un programme de type P.R.G.F. par le Board suppose que le cadrage macroéconomique en soubassement de celui-ci est arrêté. En d'autres termes, nous sommes en présence d'une programmation financière (ou encore fermeture publique) qui d'un côté, trace la trajectoire que devrait suivre l'économie pour les prochaines années : les objectifs de croissance, le niveau des recettes publiques nécessaires au programme, le niveau de dépenses publiques notamment l'investissement public, … et d'autre part, évalue la contribution financière du Fonds. Cette situation de fait pose la question de l'utilité et de la pertinence des ateliers de consultations et du travail de synthèse pour la finalisation du M.A.P. qui n'a pas encore commencé à la conclusion de l'accord en Juillet 2006. Deux possibilités s'ouvrent alors. Un premier scénario est que les récentes consultations régionales et l'atelier national prévu se tenir d'ici peu et le travail de synthèse conduisent à élaborer un cadrage macroéconomique différent de celui du programme P.R.G.F. adopté en Juillet 2006. Déconnecté de la réalité, ce dernier aura peu de chances d'arriver à son terme. Un deuxième scénario, le plus probable, est que le cadrage macroéconomique du P.R.G.F. est imposé dans le M.A.P. réduisant du même coup les marges d’appropriation nationale de celui-ci. Les contributions des acteurs nationaux en dehors des services techniques des policy makers qui ont négocié l'accord P.R.G.F., risquent de s'apparenter à de simples formalités. Pourtant, comme l'analyse le F.M.I. lui-même, l'un des principaux facteurs d'échec de ses programmes à Madagascar ces dernières années est la faiblesse de l'appropriation nationale de ceux-ci [F.M.I. : 2005, p. 27 et s.]. Dans nos deux scenarii donc, c'est bien la crédibilité du F.M.I. qui ne tient qu'à un fil.
II. B. Du côté de la partie Malagasy : le syndrome de la shopping list
A l'instar de la manière avec laquelle nous avons procédée précédemment, nous associerons l'analyse des gains que pourrait tirer la partie Malagasy du programme P.R.G.F. de Juillet 2006, avec la préparation du M.A.P. dans laquelle Madagascar s'est engagé.
Le processus d'élaboration de stratégies comme ce qui se fait avec la rédaction du M.A.P. présente le risque de ce que les chercheurs [O.D.I. : 2001, p. 44] qualifient de syndrome de la shopping list. Cela signifie que les aspirations des participants aux étapes de consultation ont du mal à être traduites techniquement de façon cohérente et réaliste. Bien sûr, le caractère pluriel des politiques à intégrer dans les stratégies explique ce syndrome de la shopping list, mais en fait, une des ses causes relève de la compréhension même de l'objet des stratégies : le concept de pauvreté. L'inscription sur l'agenda des institutions internationales de la lutte contre la pauvreté au milieu des années 90, puise une partie de son explication dans l'enrichissement de ce concept de pauvreté. L'influence des auteurs comme Amartya Sen [2003] qui a développée le concept de capabilities (ou capacités humaines) a révolutionné la définition de la pauvreté, jusque là marquée par les concepts de capital humain et de besoins fondamentaux hérités entre autres de Pierre Bourdieu [1970]. Toutefois, les avancées effectuées dans la compréhension de la pauvreté semblent être cantonnées au niveau académique. Ausi, l'internalisation du concept de pauvreté par les praticiens (les policy makers) pour asseoir une méthodologie scientifique en vue de le traiter dans ses aspects multidimensionnels fait défaut. Prenons une illustration simple dans le P.R.S.P. de 2003. L'autonomisation des pauvres est souvent appréhendée dans sa seule dimension géographique. L'éloignement est alors identifié comme le principal facteur empêchant l'accès des pauvres aux services sociaux de base. D'où l'élaboration par le P.R.S.P. d'un indicateur d'enclavement : " défini par les quintiles d’éloignement définis à partir de l'existence de (a) une route, (b) un arrêt d'autobus ou de taxi-brousse, (c) un accès aux infrastructures agricoles et aux engrais modernes, (d) la distance à parcourir pour se rendre aux infrastructures de base les plus proches (école et centre de santé) " [République de Madagascar : 2003a, p. 25]. Pourtant, l'autonomisation se trouve aussi " dans la capacité de l'individu à domestiquer sa relation à son environnement " [T. Dahou : 2003, p. 65], lequel dépasse le cadre du local ; Tarik Dahou parle de pauvreté relationnelle, dans la lignée de l'approche par les capacités de Sen.
Il résulte de la faiblesse des capacités à formuler des stratégies efficaces contre la pauvreté que le document contenant celles-ci ressemble à un cahier de doléances. Concrètement, il y a défaillance dans la formulation des actions publiques à intégrer dans les stratégies mais également dans la hiérarchie de ces actions. Pour ce qui est du P.R.S.P. de 2003, cette défaillance est aggravée par l'absence d'une Poverty Social Impact Analysis – P.S.I.A. (ou Analyse d'Impact sur la Pauvreté et la Situation sociale – A.I.P.S.). La P.S.I.A. simule les conséquences d'une réforme sur différents groupes sociaux, en portant une attention particulière aux groupes les plus vulnérables [L. Hayes : 2005, p. 5] et permet donc de mettre en place des critères pour définir les priorités entre les demandes concurrentes des secteurs prioritaires et/ou au sein même de ces secteurs. Au vu de l'état d'avancement de la préparation du M.A.P., ces insuffisances du P.R.S.P. ne sont pas encore comblées. Déjà lors de la clôture de l'Atelier Gouvernemental sur l'élaboration du M.A.P., à Iavoloha, Antananarivo, le 24 Mai 2006, James Bond (Directeur des Opérations de la Banque Mondiale dans la Région de l'Océan Indien) a souligné les éléments manquants du M.A.P. : " il y manque deux éléments : les politiques sectorielles et les actions spécifiques de mise en œuvre, car il faut bien transformer ces objectifs en programmes d'actions sectoriels " [M. Andriamaro : 2006]. Autre fait qui corrobore l'insuffisance analytique du M.A.P. : les récents conseils que le F.M.I. prodigue en vue de sa finalisation réitèrent que la définition de politiques macroéconomiques de moyen terme réalistes figure parmi les défis majeurs de sa rédaction [F.M.I. : 2006c, p. 10].
Le syndrome de la shopping list se répercute inévitablement sur le financement des stratégies. En d'autres termes, la difficulté rencontrée dans la formulation des stratégies s'accompagne souvent de celle de trouver les fonds nécessaires pour les réaliser. Reprenons l’exemple du P.R.S.P. de 2003 : au moment de son bouclage, près de 38% des coûts de la stratégie était encore à chercher [République de Madagascar : 2003a, pp. 123-124]. Le financement en totalité des stratégies (le M.A.P.) par des ressources internes est pratiquement une utopie. Si nous prenons la rétrospective faite par le Fonds sur ses anciens programmes (E.S.A.F. de 1989, de 1996 et P.R.G.F. de 2001), il en ressort un constat accablant : la politique fiscale a toujours fait face à d'énormes écueils, sa réforme devra d'ailleurs être une priorité des priorités dans l'agenda des policy makers [F.M.I. : 2005, p. 33]. Les ressources externes devront donc jouer une place importante. Mais à propos de ces ressources externes, il y a un fait qui suscite la curiosité dans le récent accord P.R.G.F. : le niveau de son enveloppe financière. Alors que l'E.S.A.F. de 1989 s'élevait à 76.900 millions de Dts, l'E.S.A.F. de 1996 à 81.360 millions de Dts et la P.R.G.F. à 91.650 millions de Dts [F.M.I. : 2005, p. 4], le dernier accord ne prévoit qu'une enveloppe totale 54.990 millions de Dts repartis en sept tranches. La dernière P.R.G.F. de Juillet 2006 présente non seulement le montant d'aide le plus faible parmi les quatre derniers programmes du Fonds, mais en outre, c'est la première fois depuis une quinzaine d’années que le F.M.I. revoit à la baisse le volume de son aide dans le cadre d'un programme pour Madagascar. Si nous considérons que le Fonds sert de chef de file pour la majorité des acteurs internationaux de l'aide publique au développement, cette baisse de l'enveloppe pourrait être interprétée par ces acteurs comme un signal négatif.
En fait, une interprétation possible de la baisse des fonds en provenance du F.M.I., serait l'évolution de la pratique de cette institution vers l’application de la sélectivité de l’aide. Ce principe de la sélectivité de l'aide a été introduit par la Banque Mondiale, notamment avec la publication du fameux rapport Assessing Aid [Banque Mondiale : 1998]. A la base, ce sont les auteurs comme Craig Burnside et David Dollar [1998] qui ont inspiré les bailleurs en avançant l'idée selon laquelle, l'efficacité de l'aide dépend de la qualité des politiques mises en œuvre. Deux arguments justifient cette idée. D'abord, il y a l'argument du concept de fongibilité de l'aide. Celui-ci fait référence à la possibilité, pour le pays receveur, de réduire ses propres dépenses dans le secteur ciblé par l'aide pour transférer ses fonds à d'autres secteurs, ce qui est conforme avec le concept d'approche budgétaire prôné dans les stratégies internationales de réduction de la pauvreté (17). Mais la fongibilité peut entraîner un relâchement de la contrainte budgétaire du pays receveur, l'aide s'ajoutant simplement aux ressources totales de l'Etat. Le deuxième argument de la sélectivité est que l'aide n'a pas d'effet sur la qualité des politiques des pays receveurs. Pour les auteurs comme Dani Rodrik en effet, l'aide réduit certes le coût des réformes, mais elle réduit aussi le coût de l'inertie, c'est-à-dire le coût d'éviter les réformes [D. Rodrik : 1996, p. 30]. Les bailleurs, la Banque en tête, prônent alors une sélectivité ex-ante des pays receveurs basée sur la qualité des politiques adoptées, selon une approche basée sur un indicateur d'instrument. Aussi, " quand les politiques économiques sont mauvaises, l'aide financière devrait être remplacée par un dialogue sur les choix de politique et une assistance technique " expliquent Jacky Amprou et Lisa Chauvet [2001 : p. 23]. Si un processus de réforme s'engage, alors le financement peut augmenter au fur et à mesure que les politiques s'améliorent. Un autre fait qui va dans le sens de l'hypothèse selon laquelle le F.M.I. serait en train de pratiquer une sélectivité est le constat fait par le F.M.I. [2005, p. 29] des effets négatifs sur l'élaboration et l'implémentation des stratégies de réduction de la pauvreté à Madagascar de son absence et de la faiblesse de ses échanges avec les policy makers. En voulant combler cette faille, le Fonds voudrait dorénavant marquer beaucoup plus sa présence pour mieux véhiculer sa doctrine, ce qui nous ramène à la pratique de la sélectivité de l'aide où la baisse des flux financiers est compensée par le dialogue.
Pour terminer
Nous ne pouvons séparer dans l'étude des relations Madagascar – F.M.I., la place occupée par le Fonds sur la scène internationale. L'existence d'un accord de type P.R.G.F. est souvent considérée par la communauté des bailleurs comme un seal of approbal (ou sceau d'approbation) qui donne le feu vert pour la poursuite des flux d'aides. Néanmoins, déjà en 2001, Madagascar faisait partie du groupe des pays dits prolonged users (ou utilisateurs persistants) des ressources du Fonds, c'est-à-dire des pays qui connaissent une multiplication et succession dans le temps des programmes d'aide de ce dernier. Au vu des analyses de l'Independent Evaluation Office – I.E.O. (ou Bureau d'Evaluation Indépendante – B.E.I.) au sein du F.M.I. [I.E.O. : 2002] pourtant, ces recours prolongés ont des implications négatives notables. Parmi celle-ci, un progrès plus lent que prévu dans la résolution des problèmes économiques. Et dans tous les cas d'utilisation (presque) sans fin de l'appel au F.M.I., il reste des problèmes substantiels concernant les causes mêmes de ce recours prolongé. De plus, il y a des implications négatives pour le développement institutionnel des utilisateurs persistants. Même si les échanges étroites avec les services du F.M.I. permettent un certain transfert de compétences (en matière de gestion macroéconomique, …), la persistance des aides du Fonds étouffe le développement des capacités nationales et contredisent les objectifs affichés de capacity building. En outre, plus les programmes se multiplient, plus les réformes (institutionnelles, macroéconomiques, …) perdent en substance et finalement sapent les efforts pour asseoir les conditions de développement. Voilà pourquoi, il n'est pas étonnant si l'utilisation prolongée des ressources du F.M.I. est avancée comme ayant des effets négatifs sur la croissance même [I.E.O. : 2002, p. 11]. Cette dernière conséquence risque d'être plus que problématique lorsque nous nous rendons compte des mises en garde du F.M.I., notamment lorsqu'il avance que la croissance occupera la place centrale comme condition de réussite du M.A.P. et de ses objectifs ambitieux [F.M.I. :2006, p. 5]. Cela dit, en analysant les récents documents du Fonds sur Madagascar, l'accord P.R.G.F. de Juillet 2006 s'apparente à une exit stategies for prolonged users, c'est-à-dire une stratégie de sortie afin de se libérer du caractère pesant d'utilisateurs persistants. En effet, une évaluation plus profonde de l'intervention du F.M.I. à Madagascar (ce qui est rare voire inexistante dans la pratique de cette institution) est prévue à la fin du programme en 2008 afin d’envisager d'autres modalités pour traiter le Dossier Madagascar au niveau de cette institution. En attendant, la prolongation du recours au F.M.I., malgré le futur avènement du M.A.P., n'est pas un gage de réussite de la formulation de homegrown strategies ou de stratégies de développement véritablement nationales nécessaires pour un réel développement.
Notes
(1) : le dispositif P.R.G.F. est l'instrument d'intervention instauré par le F.M.I. à destination des pays les plus pauvres.
Pour plus d’information : http://www.imf.org/
(2) : inventé par John Williamson, le terme Consensus de Washington désigne avant tout les rôles respectifs des institutions et organismes internationaux intervenant dans l'aide au développement. Même si, selon les mots de Williamson, ce premier sens du consensus n'est plus pertinent (avec la différenciation d’approches entre les institutions internationales et l’administration américaine faisant office d'hégémon), il s'avère que parmi les voix des institutions internationales, celle du F.M.I. donne encore le LA dans l'orientation de l’aide.
(3) : Anne O. Krueger a évoqué la possibilité de la mise en place du programme avant la fin de l'année 2005. Quelques mois après, les missions du Fonds ont reporté cette mise en place au début du printemps 2006, ce que nous pouvons situer aux alentours du mois de Mars 2006. En Avril, le Ministre (Malagasy) de l'Economie, des Finances et du Budget a parlé de Juin 2006 comme date de passage du Dossier Madagascar devant le Board. Le même mois d'Avril, le même Ministre a dit que ce passage se fera plutôt au mois de Juillet 2006.
(4) : Comme le témoignent entre autres, les propos de Damian Ondo Mane, Administrateur du Fonds en charge du Dossier Madagascar.
(5) : Dans une correspondance en date du 6 Avril 1994, Edwin Bonnermann (du Fonds) écrit au Ministre des Finances José Raserijaona : " (…) encouragés par les intentions exprimées par les autorités de rapidement mettre en œuvre un programme d'ajustement qui puisse être appuyé par les ressources du F.M.I., les services du F.M.I. rappellent ci-après les principales mesures dont l'application constitueront un préalable à la négociation d’un accord (…) : le libre flottement du franc malgache (…) ".
(6) : " Conditionality – that is, program-related conditions – is intended to ensure that Fund resources are provided to members to assist them in resolving their balance of payments problems in a manner that is consistent with the Fund's Articles and that establishes adequate safeguards for the temporary use of the Fund's resources ". [F.M.I. : 2002, p. 1].
(7) : cf. infra.
(8) : validant pour Madagascar le constat de hausse de nombre des conditionnalités structurelles évoqué précédemment.
(9) : Pour l'orthodoxie, l'économie de développement propose d'agir non sur des structures, contrairement au structuralisme des auteurs comme François Perroux, … [F. Carluer : 2002] mais sur des individus.
(10) : la rétaxation partielle est adoptée au début seulement du second semestre 2004.
(11) : cf. site du Gouvernement Mozambicain http://www.govmoz.gov.mz/parpa/eindex.htm
(12) : cf. site du C.P.R.G.S. http://www.cprgs.org/home/index.jsp?lang=0
(13) : Rappelons nous du cas de Nicaragua. Comme la plupart des Pays Pauvres et Très Endettés – P.P.T.E., le Nicaragua a rédigé son P.R.S.P. en Août 2001, connu sous le nom de Estrategia Reforzada de Crecimiento Económico y Reducción de la Pobreza – E.R.C.E.R.P. (ou Strengthened Growth and Poverty Reduction Strategy). Mais dès l'automne 2002, le Nicaragua a lancé un processus parallèle au E.R.C.E.R.P. à travers le Estrategia NAcional de DEsarrollo – E.NA.DE. (ou National Development Strategy) dont le draft a circulé au niveau de la communauté des donateurs du Nicaragua en Décembre 2002. L'apparition de l’E.NA.DE. est survenue alors que le Gouvernement vient de conclure un accord P.R.G.F. avec le Fonds et qu'une nouvelle Country Assistance Strategy – C.A.S. a été définie par la Banque Mondiale. Ces dispositifs ont tous été établis sur la base de l'E.R.C.E.R.P., d'où la consternation des I.B.W. [I.E.O., O.E.I. : 2004, p.29] devant le constat que les deux stratégies (E.R.C.E.R.P. et E.NA.DE.) sont divergentes sur plusieurs points comme la programmation des investissements publics. Après un bras de fer de plusieurs mois entre policy makers et bailleurs, un nouveau plan a été présenté par le Gouvernement en Octobre 2003 : le Plan Nacional de Desarrollo – P.N.D. (ou National Development Plan). Quant au processus P.R.S.P., il a repris avec une mise à jour en 2004 basée sur le plan de consensus (P.N.D.).
cf. site de la Présidence au Nicaragua http://www.secep.gob.ni/
(14) : le Sourcebook est la bible de référence de la Banque Mondiale et du F.M.I. en ce qui concerne l'élaboration de ces stratégies. [Banque Mondiale, F.M.I. : 2002].
(15) : traduction de " the process through which stakeholders influence and share control over priority setting, policy-making, resource allocations and access to public goods and services ". [Banque Mondiale, F.M.I. : 2002].
(16) : Parmi les éléments du capital social, nous notons la confiance, les normes de réciprocité, de participation et d'égalité, ainsi qu'une vie associative florissante, l'idée étant l'embeddedness (ou encastrement) des transactions économiques dans les relations sociales. James S. Coleman [1990] est l'un des premiers à développer cette théorie en mettant l'accent sur les mécanismes purement économiques du capital social (s'articulant en termes de coûts de transaction, …). Mais c'est Robert Putnam [1993] qui a été décisif dans la diffusion de la théorie, en adoptant une version ayant des dimensions institutionnelles et selon laquelle la qualité des gouvernements et des institutions publiques dépendent de certaines caractéristiques sociales. Autrement dit, confiance et vie associative améliorent la gouvernance, qui à son tour, engendre une meilleure performance économique.
(17) : Avec les stratégies internationales de réduction de la pauvreté, les bailleurs sont passés du concept d'approche-projet basé sur les aides-projets au concept d'approche-programme qui met en exergue les aides budgétaires. D'après Jean-Jacques Gabas, " l'argumentation essentiel porte sur le fait qu'un projet ne sera jamais efficace en termes de création de valeur ajoutée et de distribution de revenus s'il n’est pas intégré dans un environnement macroéconomique robuste " [2000, p. 67].
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