Thursday, October 12, 2006

La Bonne Voie ?

UPDATED BY SHADOW AT : Saturday, October 14, 2006 - 6:30 PM

Dans le précédent post, nous ne nous sommes pas posé la question, qu'est-ce que nous pouvons apprendre d'un nobel comme E. Phelps pour analyser une petite économie comme celle de Madagascar. En fait, s'il y a un thème intéressant, et bien ce sera celui de la croissance économique (E. Phelps a consacré un grand nombre de ses travaux sur les politiques de croissance à long terme). Cette question de la croissance est cruciale notamment dans l'optique de la réduction de la pauvreté. Quand les responsables crient urbi et orbi qu'ils veulent atteindre les Millenium Development Goals - M.D.G. (ou Objectifs de Développement du Millénaire - O.D.M.) dont le premier est la réduction de moitié de la pauvreté en 2015, cela sous-entend qu'il faut atteindre un certain niveau de croissance. En écoutant les discours officiels (à l'instar du discours du Numéro Un de l'Exécutif ou des propos du Ministre des Affaires Etrangères) et en regardant de près les programmes de politiques publiques, nous ne sommes pas loin de se demander si les responsables savent ce qu'ils disent et ce qu'ils écrivent.
I. La croissance : une condition nécessaire pour réduire la pauvreté ...
L'établissement de liens entre la croissance économique et la réduction de la pauvreté correspond à ce qui est généralement qualifiée de thèse de trickle down. En général, les économistes reconnaissent cette thèse et considèrent que la croissance sert dans la réduction de la pauvreté. En fait, là où il y a surtout des divergences de points de vue, c'est quand il faut prendre en considération la question des inégalités. De nombreuses études économétriques, depuis celles de Montik Alhuwalia [1976] aux travaux de Klaus Deininger et Lyn Squire [1998], ont cherché à établir des liens entre croissance-inégalités-pauvreté. Les multiples interprétations de ces travaux conduisent à des querelles quasi sans fin sur la place que devraient occuper les politiques de redistribution dans les stratégies de réduction de la pauvreté. Cela dit, il semble que depuis les travaux de David Dollar et Aart Kraay [2000], la littérature économétrique accorde plus d'importance à l'effet-croissance qu'à l'effet-inégalités dans la réduction de la pauvreté. En d'autres termes, du fait d'une certaine neutralité de la croissance en termes d'inégalités des revenus, il serait plus judicieux de mettre surtout l'accent sur les objectifs de croissance.

Source : François Bourguignon [2004, p. 32]

Pour notre part, nous n'allons pas trancher sur les divergences quant à l'importance que joue le rôle des inégalités, nous allons juste prendre en considération la thèse générale de trickle down. Cela signifie que nous reconnaissons bien volontier que l'inégalité et les politiques de redistribution affectent la pauvreté tel que le montre ci-dessus le Triangle de François Bourguignon [2004], mais ce qui nous interesse, c'est d'avoir à l'esprit que la croissance est cruciale pour réduire la pauvreté.
Sur ce plan justement, il est à noter la forte ambition du Poverty Reduction Strategy Paper - P.R.S.P. (ou Document de Stratégie de Réduction de Pauvreté - D.S.R.P.) : l'objectif de réduction de moitié de la pauvreté à Madagascar a été ciblé en 2003 (lors de la rédaction du document) pour être atteint dès 2013, soit avant l'échéance de 2015 fixée dans les M.D.G. par les Nations Unies. Rappelons que cet objectif consiste à ramener le taux de pauvreté à 34.2% de la population totale (c'est-à-dire la proportion de population vivant dans la pauvreté absolue). Ainsi, pouvons-nous lire : " Ayant opté pour un développement rapide et durable, Madagascar envisage de dépasser cet objectif du Millénium et de réduire de moitié le taux de pauvreté dans 10 ans, soit en 2013 " [République de Madagascar : 2003, p. 51]. Cet ambitieux objectif a été revisé à la baisse avec la révision du P.R.S.P. en 2005 qui fixe le taux de pauvreté à atteindre en 2015 à 36.80% de la population. Ces chiffres sont recapitulés dans le tableau ci-dessous : la deuxième colonne correspond à l'évolution de la pauvreté qui suivrait les M.D.G. ; la troisième colonne montre les objectifs du P.R.S.P. inititial et la dernière colonne : les objectifs revisés.


Les stratégies qui sont à mettre en oeuvre pour atteindre ces objectifs tablent sur une forte croissance. En fait, nous constatons une consécration de la croissance économique comme condition majeure de réduction de la pauvreté à Madagascar. Certes, dans la version mise à jour du P.R.S.P. en 2005 [République de Madagascar : 2005], des scénarii ont été établis différemment suivant les paramètres relatifs à la redistribution et avec un même niveau de croissance. Mais que ce soit pour la version initiale de 2003 [République de Madagascar : 2003] ou la pour la version mise à jour, la croissance joue bien le rôle central dans la réduction de la pauvreté. Plus précisément, en rédigeant le P.R.S.P. en 2003, les policy makers (responsables politiques) estimaient qu'il faut une croissance économique moyenne annuelle de 9.3% pour attindre l'objectif de réduction de pauvreté dès 2013. S'il fallait se contenter des objectifs internationaux des M.D.G., alors il faudrait une croissance moyenne de 8%. Lors de la révision du P.R.S.P. en 2005, l'objectif de taux de pauvreté de 36.80% en 2015 a été fixé en sachant qu'il faut une croissance de 8% en moyenne annuelle pour les dix prochaines années. En somme donc, l'ambitieux objectif des policy makers à Madagascar exige une forte croissance tel que le souligne le Numéro Un de ces derniers : " (...) il faut oser placer la barre très haut : taux de croissance d'au moins 8% (...). Ce sont des objectifs ambitieux mais réalistes si nous agissons ensemble sans état d'âme, sans tergiversation et sans velléités politiques primaires " [République de Madagascar : 2003, p. II].
II. ... mais une condition considérée de manière irréaliste et laissant plus que sceptique
Faisons une petite retrospective de la croissance économique à Madagascar pour évaluer le réalisme d'un objectif d'une croissance moyenne d'au moins 8% : l'idée étant de voir si eu égard des expériences dans le passé, en termes de croissance, ambitionner un taux de 8% a un sens. Si nous nous plaçons dans une optique de long terme, nous verrons que la croissance économique annuelle est très faible en ce qui concerne Madagascar. Observons les 25 dernières années : la croissance moyenne annuelle pour la période 1981-2006 (nous prenons l'année 1981, car c'est une année symbolique en ayant vu débuter effectivement les relations de Madagascar avec les Institutions de Bretton Woods et surtout le F.M.I.) est de seulement 1.96% pour Madagascar. En 25 ans, la croissance n'a dépassé les 8% (représentée par la droite en rouge, ci-dessous) qu'au cours de la seule année de 2003. En fait, comme le montre le graphique ci-dessous, cette croissance n'a jamais été soutenue car saccadée à cause des évènements comme les crises politiques (en 1991, en 2002) ... Par ailleurs, les analystes ont toujours eu du mal à comprendre le mécanisme même de la croissance à Madagascar : " la plupart des grands économistes (...) ont été conduits à exclure Madagascar de leurs échantillons de pays ou à le considérer comme un point abérrant tant les facteurs explicatifs de la croissance, classiques ou moins classiques, ne s'appliqueraient pas aux trois décennies de régression du Pib par tête dans la Grande Ile ", pouvons-nous lire dans la Revue Economie de Madagascar [1998 : p. 4].

Sources : F.M.I., Nos propres calculs.

Ainsi, est-il préférable de regarder ce qui se passe dans un laps de temps plus court (trois ans par exemple). Dans cette optique, regardons la meilleure période de croissance à Madagascar avant l'élaboration par les policy makers du P.R.S.P. : celle de 1997-2000 s'impose. En effet, durant celle-ci, Madagascar a enregistré une croissance économique moyenne annuelle de 4.5%. Il est aussi à noter que cette période a vu la situation macroéconomique se stabiliser. Donc là, nous pouvons déjà dire que fixer un objectif de croissance annuelle de plus de 8% relèverait d'une certaine utopie. Quand dans le passé, la moyenne est de moins de 5% dans un contexte macroéconomique assez favorable, passer à 8% n'est pas évident. Mais pour se rendre vraiment compte de l'irréalisme de l'objectif de croissance pour réduire la pauvreté, regardons ce qui s'est effectivement passé au cours des dernières années, lorsque le P.R.S.P. a été mis en oeuvre. En effet, nous pourrions peut être tenté de penser que justement le P.R.S.P. a été établi pour apporter du changement par rapport au passé et offrir une forte croissance. Le P.R.S.P. est censé arriver à terme cette année 2006, et si nous en faisons le bilan pour calculer le taux de croissance moyenne de la période 2002-2006, nous avons un chiffre de 6.08%.
Mais de notre point de vue, prendre en considération l'année 2003 et la croissance de 9.8% de cette année est assez irréaliste. Madagascar a connu une croissance négative de -12.7% en 2002 sans que les structures productives aient connu une dégradation. Cette croissance négative est imputable à un arrêt des activités durant des mois. Donc, il est tout à fait normal si le rythme de croissance dès la reprise en 2003 est fort, vu le niveau d'activités très faible de 2002. Si nous voulons réellement évaluer la croissance observée dans le cadre de la mise en oeuvre du P.R.S.P., nous devons considérer les périodes où le contexte macroéconomique ne connaît pas de perturbation trop importante. Dans ls conditions (normales), il serait logique de calculer le taux de croissance moyenne de la période 2003-2006, ce qui nous donne 4.83%. En enregistrant une croissance économique de 4.83% en moyenne annuelle entre 2003 et 2006, Madagascar évolue très loin de la trajectoire que ses policy makers ont défini. En d'autres termes, l'ambition affichée afin de ramener le niveau le taux de pauvreté à 34.2% en 2013 ou en 2015, même si elle est revisée en 2005 (objectif de 36.8% en 2015) est plus que compromise car celle-ci exige une moyenne de 9.3% ou 8% (et encore quand nous partons de 2003).

Un exercice de simulation du taux de pauvreté tel qu'il figure sur le tableau ci-dessus nous donne une idée de cette évolution loin de la trajectoire dessinée par les policy makers. La simulation est donnée par un modèle, qui pour des raisons de protection de la propriété intellectuelle, ne sera pas détaillée ici. Disons juste qu'il s'agit d'un modèle assez pointu et que nous surnommerons "Shadow 3.0". Nous retiendrons trois hypothèses. Le Scenario I correspond à la moyenne annuelle de croissance de 6.08% observée entre 2002 et 2006 même si nous avons dit que c'est un scénario peu vraisemblable au vu du contexte peu normal de 2002-2003. Le Scenario II est établi sur la base de la croissance moyenne annuelle de 4.83% de la période 2003-2006. Le Scenario II nous donne donc ce que serait le taux de pauvreté en 2013 et en 2015 si la croissance suit la même tendance que ce que nous avons observé entre 2003 et 2006. Enfin, le Scenario PRGF part de l'hypothèse de croissance pour les prochaines années, retenue par le cadrage macroéconomique [F.M.I. : 2006] de l'accord P.R.G.F. avec le F.M.I. conclu en Juillet 2003 [cf. à quoi jouent-ils]. L'hypothèse de croissance retenue par le F.M.I. est une croissance moyenne annuelle de 5.6% pour la période allant de 2007 à 2011. Les résultats que nous obtenons nous situent vraiment loin de l'objectif de réduction de pauvreté tant vanté depuis 2003. La pauvreté affecterait encore environ 50% de la population en 2015 contrairement à l'objectif initial de moins de 30%. Le P.R.S.P. était attendu pour poser les bases de la croissance forte et arrivé à son terme, il a donné un résultat décevant sur ce plan. Qu'en sera-t-il de de son successeur le M.A.P., pas encore bouclé mais qui est néanmoins élaboré dans la même moule que son prédécesseur.
Références
Alhuwalia Montik (1976), " Inequality, Poverty and Development ", Journal of Development Economics, N°6, pp. 307-342.
Bourguignon François (2004), " Le Triangle Pauvreté – Croissance – Inégalités ", Afrique Contemporaine, N°211, Automne 2004, pp. 29-56.
Cogneau Denis, Roubilliard Anne-Sophie (2001), " Croissance, Distribution et Pauvreté : un Modèle de Micro-Simulation en Equilibre Général Appliqué à Madagascar ", Document de Travail, DT/2001/19, D.I.A.L., Paris.
Deininger Klaus, Squire Lyn (1998), " New Ways of Looking at Old Issues : Inequality and Growth ", Journal of Development Economics, N°57, pp. 259-287.
Dollar David, Kraay Aart (2000), " Growth is Good for the Poor ", Working Paper, N°2587, World Bank, Washington D.C., April.
F.M.I. (2006), Request for a Three-Year Arrangement Under the Poverty Reduction and Growth Facility And Activation of the Trade Integration Mechanism, I.M.F. Country Report N°06/306, Washington, August.
République de Madagascar (2003), Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté, S.T.A., Antananarivo, Juillet 2003.
__________ (2005), Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté, Mise à Jour, S.T.A., Antananarivo, Juin 2005.
Revue Economie de Madagascar - Perspectives Macroéconomiques et Politiques Publiques : la Question Fiscale, N°3, Instat - B.C.M., Antananarivo, Octobre 1998.

1 comment:

Vaomiera said...

Allo par ici!
Tres belle analyse!
Ca se lit tout en sirotant une bouteille de THB lol