Sunday, September 24, 2006

Avy Mangataka Izahay ... !

Traditionnellement, la tribune des Nations Unies est saisie par les intervenants pour verser dans une diplomatie déclamatoire. Quoi de plus logique car il relève du devoir des dirigeants du Sud de mettre le doigt sur les aspects de l'environnement politique et économique international qui sont au détriment de leurs pays. L'allocution de Sem Ravalomanana Marc, à l'occasion de la 61è Assemblée Générale à New York, ne déroge pas à cette règle. Par expérience pourtant, nous constatons que ces beaux discours bouleversent rarement (du moins en un laps de temps court) le monde. Peut-être que l'une des raisons est que les éléments de ces discours ne sont pas assez pertinents et que les références ne sont pas toujours les bonnes. A l'image de l'allocution du numéro un Malagasy, des éléments de ces discours sont le fruit d'erreurs d'appréciation.
1. Le M.A.P. : un nouvel instrument ?
" j’ai décidé de développer un nouvel instrument à Madagascar, que nous appelons Madagascar Action Plan ou MAP. "
Au risque de déplaire aux promoteurs de cet instrument, il s'avère qu'ils sont les seuls à estimer qu'il s'agit d'un nouvel instrument. Côté appellation, le M.A.P. n'est pas sans rappeler le document Mozambicain A.P.R.P.A. rédigé voilà cinq ans déjà (en 2001). En ce qui concerne le processus d'élaboration de ce document, il ne diffère pas beaucoup de ce qui s'est fait avec le P.R.S.P. de 2003 revisé en 2005. (Dans notre article A Quoi Jouent-Ils ? ces processus ont été traité longuement, surtout dans la partie II. A.). Quant aux institutions internationales, elles considèrent que le M.A.P. n'est rien d'autre qu'une deuxième génération de P.R.S.P. pour Madagascar [F.M.I. : 2006, p. 10].
2. Un Plan Marshall pour l'Afrique ?
" Pour devenir indépendant nous avons besoin davantage de l’aide internationale. (...) Regardons les résultats du Plan Marshall. "
Le mot indépendance est peu compatible avec le Plan Marshall (officiellement dénommé European Recovery Program). Rappelons que ce programme d'aide a été fortement instrumentalisé par les U.S. pour asseoir leur hégémonie sur le monde. Bien avant la fin de la Seconde Guerre, les U.S. ont négocié leurs soutiens aux efforts de guerre britanniques (et européens) et à la réconstruction de l'après-guerre contre d'importantes concessions politiques et commerciales de la part de ces derniers (comme l'élimination de certaines discriminations commerciales et monétaires, en particulier celles des préférences impériales britanniques, ...). Quant au Plan Marshall proprement dit, c'est un financement qui a d'abord des desseins politiques avant d'avoir des finalités économiques. Ainsi, près de la moitié de l'aide (qui correspond actuellement à environ 100 milliards de dollars Us) a servi à acheter des soutiens politiques (contre le communisme) et à véhiculer les idées américaines (en ce qui concerne entre autres le système financier international sous le régime de Bretton Woods) en France et en Angleterre au lieu d'être affectée à des zones dévastées. C'est surtout suite aux travaux de Alan Stelle Milward [1984] : l'un des principaux auteurs qui a renouvelé l'historiographie de la reconstruction européenne, que la conception folklorique du Plan Marshall a été demystifiée.
Par ailleurs, justifier l'utilité de l'aide à travers le Plan Marshall part de l'idée que c'est ce plan qui a permis la reconstruction de l'Europe. Il ne s'agit pas ici de dénier l'idée que le Plan Marshall y a effectivement contribué. Par contre, le rôle de ce financement est à relativiser. Dans la lignée de Alan Steele Milward [1984], d'autres auteurs comme Peter Burnham [1990] ont renforcé la thèse révisionniste sur le Plan Marshall quant à son importance économique. En effet, beaucoup d'études ont depuis le milieu des années 80 remis en cause l'idée généralement répandue que cette aide a été décisive pour l'Europe et que sans cette aide, l'Europe n'aurait pas pu se relever. Par exemple, pour Barry Eichengreen et Marc Uzan [1992], les effets positifs des principaux canaux par lesquels le Plan Marshall a reconstruit l'Europe (stimulation des investissements, reconstruction des infrastructures, ...) sont temporaires. Ce qui ne justifie pas la longue croissance de l'économie européenne durant les trente glorieuses.
3. L'aide peut-elle s'accroître indéfiniment ?
" On discute de la capacité d’absorption. Comme tous les pays en développement, nous aussi, nous avons connu des problèmes. Il s’agit de problèmes de coopération entre les partenaires nationaux et internationaux. Au fond, le manque de capacités, s’il existe, résulte du manque de coopération et de confiance. La capacité ne doit jamais être le facteur déterminant pour le volume du soutien. Quand on constate le manque de capacités dans un secteur, il faut le renforcer. Si les ressources humaines ne sont pas encore suffisantes sur le plan national, il faut faire appel à des experts internationaux tout en renforçant les capacités nationales. "
Là il semble que le discours fait l'amalgame entre deux concepts différents : la capacité des acteurs du développement et la capacité d'absorption de l'aide dans une économie qui est beaucoup plus générale. Il est vrai que la faiblesse des capacités des acteurs pose problème. Cela est valable par exemple en ce qui concerne les compétences pour concevoir les projets faisant appel à l'aide, pour mettre en oeuvre et manager ces projets, ... Seulement, jusqu'à maintenant, les discours sur le recours à l'expertise internationale pour rémedier à ces faiblesses nationales sont encore sans réponse face au caractère perturbateur de cette expertise. Il ne faut jamais oublier, en effet que l'expertise est une démarche exogène qui s'insère dans le processus internalisé du développement et constitue en cela un élément perturbateur de ce dernier. Donc, prôner le renforcement des capacités nationales simultanément au recours aux experts internationaux nécessite beaucoup de précautions car les risques d'effets pervers sont grands [L. Dumoulin et les autres : 2005].
Mais la capacité d'absorption n'est pas cantonnée à la capacité institutionnelle parce qu'elle englobe une notion plus générale. La capacité d'absorption intègre tous les facteurs qui pourraient remettre en cause les bienfaits de l'aide. Entre autres sur le plan macroéconomique, il convient d'avoir un équilibre entre le volume des transferts venant de l'aide et la taille de l'économie qui la reçoit. Si nous faisons appel aux modèles macroéconomiques selon la supply side approach [cf. par exemple Tockillick : 1989] pour analyser les impacts d'une aide massive, nous verrons que l'injection de celle-ci peut affecter sensiblement la liquidité intérieure selon l'usage que les policy makers font de cette aide. En clair, les risques de déstabilisation macroéconomique comme l'aggravation des déficits courants (hors aide) et une inflation galopante sont importants. De plus selon les analyses de Andrew Berg et les autres [2005], les tendances les plus courantes des réactions face à l'accroissement de l'aide font ressortir les mauvaises stratégies qui aggravent ces risques.
4. La baisse de l'aide a affaibli la croissance en Afrique ?
" On s’est demandé pourquoi l’Afrique subsaharienne n’a pas connu de croissance économique durant les dernières années. (...) la réduction de l’aide durant les vingt dernières années en est l’une des causes principales provoquant le ralentissement de l’économie. "
Il est vrai que le volume d'aide des pays donateurs est encore loin d'atteindre le niveau convenu par les dirigeants de ces pays. En effet, ces derniers ont accepté de porter à 0.7% de leur richesse (mesurée par le Revenu National Brut - R.N.B.) le niveau de l'Aide Publique au Développement (A.P.D.). Or en 2005, le total de l'A.P.D. a à peine représenté 0.33%. Mais il est complètement faux de dire que l'A.P.D. a été réduite au cours des deux dernières décennies si nous analysons les données de l'O.C.D.E. entre 1985 et 2005. Il y a bel et bien eu une période de baisse entre 1991 et 2001, pourtant le niveau de l'A.P.D. à destination des pays en développement en 2001 (35.123 milliards de dollars Us) est nettement supérieur à l'A.P.D. de 1985 (21.185 milliards de dollars Us). Et surtout, la tendance de l'A.P.D. est renversée depuis 2002 et une hausse tangible a permis d'atteindre une A.P.D. de 106 milliards de dollars Us en 2005, soit plus de quatre fois le niveau de 1985.
Maintenant, il serait intéressant de lier l'évolution de l'A.P.D. avec celle de la croissance de l'économie africaine. Un premier point à noter est que l'Afrique n'a pas connu des problèmes de croissance seulement ces deux dernières décennies comme l'a laissé entendre le numéro un Malagasy. Les problèmes de croissance de l'économie africaine remontent au début même des années 70 [C. Patillo et les autres : 2005]. Un deuxième point important est que la croissance du P.I.B. per capita a connu une embellie entre 1995 et 1999 (de 2% par an) en Afrique alors que l'aide s'est trouvée dans une période de baisse durant les mêmes années (baisse de l'A.P.D. durant toute la décennie 90). Un troisième point est que la croissance du P.I.B. per capita a de nouveau fléchi en Afrique entre 2000 et 2003 [C. Patillo et les autres : 2006] or nous avons vu que l'A.P.D. est pourtant repartie à la hausse après 2001. Sans même recourir à des techniques de regression donc (où la croissance serait la variable expliquée et l'aide la variable explicative), nous pouvons dire que ce n'est pas l'aide qui constitue le principal facteur d'explication de l'évolution de la croissance en Afrique. D'ailleurs sur ce plan, les études de Ricardo Haussman et les autres [2004] montrent que les accélérations de croissance en Afrique s'expliquent par ordre décroissante d'importance par : la stabilisation ou l'amélioration de l'orientation de la politique économique ; le commerce ; l'amélioration des institutions politiques et par l'investissement et l'amélioration de la productivité des facteurs.
Références
Berg Andrew, Mumtaz Hussain, Aiyar Shekhar, Roache Shaun, Mahone Amber (2005), The Macroeconomics of Managing Increased Aid Inflows: Experiences of Low-Income Countries and Policy Implications, Paper prepared for the I.M.F.'s Executive Board, Washington.
Burnham Peter (1990), The Political Economy of Post-War Reconstruction, London.
Dumoulin Laurence, La Branche Stéphane, Robert Cécile, Warin Philippe (dir.) (2005), Le Recours aux Experts, Raisons et Usages Politiques, P.U.G., Grenoble.
Eichengreen Barry, Uzan Marc (1992), " The Marshall Plan: Economic Effects and Implications for Eastern Europe and the U.S.S.R. " Economic Policy, 14, pp. 14-75.
F.M.I. (2006), Request for a Three-Year Arrangement Under the Poverty Reduction and Growth Facility And Activation of the Trade Integration Mechanism, I.M.F. Country Report N°06/306, Washington, August.
Haussman Ricardo, Pritchett Lant, Rodrik Dani (2004), " Growth Accelerations ", N.B.E.R. Working Paper, No. 10566.
Milward Alan Steele (1984), The Reconstruction of Western Europe, 1945-1951, Methuen, London.
Patillo Catherine A., Gupta Sanjeev, Carey Kevin (2005), " Sustaining Growth Accelerations and Pro-Poor Growth in Africa ", I.M.F. Working Paper, 05/195.
__________ (2006), " Growing Pains ", Finance & Development, Vol. 43, N°1, March 2006.
Tockillick (1989), A Reaction Too Far : Economic Theory and the Role of State in Developing Countries, Overseas Development Institute - O.D.I., London.
P.S.
1. Avy Mangataka Izahay ... : nous sommes venus quémander.
2. Le fait que le 7è post de ce blog s'attaque au discours dont l'orateur a comme chiffre fétiche le 77 est le fruit d'un pure hasard.

1 comment:

Anonymous said...

T'es un comique toi!!! Non, sérieusement je t'aime bien shadow, so keen on it!!!