Friday, November 10, 2006

A Gober Sans Modération


Une petite devinette pour commencer : quelle est la chance pour qu'un article journalistique (sur papier ou sur le web) supposé parlant d'économie fasse partie des bêtisiers du jour ? A Madagascar, il semble que la probabilité est assez importante. Une des explications est peut-être en lien avec la formation même de nos journalistes. Dans les pays développés, la plupart des journalistes ont reçu les mêmes formations que les dirigeants ; ce qui est rarement le cas chez nous. Une autre raison est que les journalistes servent parfois (ou souvent) de caisses de résonnance, pour ne pas dire d'instruments de propagande pour les politiciens et ne réproduisent que des papiers téléguidés. L'article publié par Aody ("Rapport économique 2005-2006 : une croissance positive malgré les chocs", 06/11/06) est une parfaite illustration de ces bêtisiers. Relevons quelques points (non exhaustifs) qui font qu'un article est un excellent outil de propagande.
1. Annoncer qu'un chiffre est bon ou mauvais : c'est selon les causes défendues
La performance est bonne pour le secteur primaire dont les activités se sont accrues de 3,3% (...) Malheureusement, c’est le secteur secondaire qui a le plus subi les contrecoups des facteurs exogènes cités plus haut. Les activités du secteur n’ont seulement augmenté que de 3% (...).
Quelle est la différence fondamentale entre 3.3% et 3% ? Rien, sinon 0.3%. Est-ce qu'une différence de 0.3% est significative entre deux rythmes de croissance économique concernant deux secteurs d'activités différents ? Oui et non diraient les normands. Oui si la croissance moyenne est assez faible : de l'ordre de 1-2% comme ce qui se passe en Europe par exemple. Mais pour notre cas, cette croissance moyenne est de 4.6%. De plus, les deux taux de croissance (3.3% et 3%) sont tous assez éloignés du taux moyen de 4.6%. Donc, eu égard de cette croissance moyenne, nous pouvons dire que 3.3% ou 3%, ce sont deux taux de croissance assez faibles.
Alors pourquoi avoir utilisé le qualificatif "bonne" pour le taux de 3.3% et utiliser l'adverbe "malheureusement" pour le taux de 3% ? Et bien la réponse à cette dernière question est double. D'abord, il fallait démontrer que les actions des dirigeants dans les domaines qui sont supposés comme bénéficiant d'une attention particulière de leur part (infrastructures, ...) portent leurs fruits. Ensuite, il fallait soutenir que les mauvais résultats sont le résultat de faits indépendants de la bonne volonté des dirigeants (chocs ...).
2. Zapper toute référence historique incitant à une meilleure analyse
Résultats relativement positifs également pour les finances publiques où les recettes ont augmenté de 1,7% en 2005 (par rapport à 2004). Cependant, le taux de pression fiscale restait à 10,1% contrairement à une prévision de 11,8% du PIB (...).
En finances publiques, ce qu'il convient d'appeler la loi de Wagner stipule qu' : "une proportion relative toujours plus grande et plus importante des besoins collectifs d'un peuple civilisé en progrès se trouve satisfaite par l'Etat". En terme d'élasticité, l'élasticité relative des dépenses publiques par rapport au revenu dépasse l'unité. En termes plus clair, il est tout à fait normal de constater une croissance des dépenses publiques au fil des années. Et en conséquences, il est donc nécessaire que les recettes publiques (notamment les recettes fiscales) croissent aussi au fil des années. A partir de là, dire que les recettes fiscales ont augmenté de x% par rapport aux années précédentes est une banalité. Cela ne veut rien dire. Par contre ce qui serait pertinent entre autres, c'est de relier cette croissance des recettes fiscales (T) avec la croissance du revenu national (Y) ; ou bien tout simplement de regarder l'évolution de la pression fiscale (niveau de recettes en pourcentages du revenu) dans le temps.
Sur ce dernier point, les chiffres sont éloquents quant à la médiocrité de la situation à Madagascar. Dans la première moitié des années 90, la pression fiscale se trouvait aux alentours des 8-8.5%. Puis sont venues des réformes lors de la deuxième moitié des années 90. Il y a eu la rationnalisation des taxes sur le commerce extérieur (l'introduction dans la Loi des Finances Rectificative - L.F.R. 1996 des dispositions tarifaires de la Commission de l'Océan Indien ; la suppression de la taxe de sortie de la vanille en 1997 ; le remplacement de la T.U.P.P. par la T.P.P. en 1998 ; ...). Citons également l'élargissement et la généralisation de la base interne d'imposition concernant notamment la T.V.A. et les Droits d'Accises (L.F.R. 1997 ; L.F.R. 1998 ; Loi des Finances Initiale - L.F.I. 1999 ; L.F.I. 2000 ; ...). Cette vague de réformes a permis d'avoir 3% de plus de pression fiscale pour ramener celle-ci à environ plus de 11% au début des années 2000. Et depuis, plus rien. A part une pression fiscale de 10.9% en 2004, l'Etat a un mal fou à afficher une pression fiscale de plus de 10% avec 10% en 2003 ; 10.9% en 2004 et 10.1% en 2005 (là nous parlons pas des 7.2% de 2002 qui constitue une exception). Et dire que des réformes ont toujours été annoncées ces dernières années (l'introduction de nouvelles versions du logiciel Sydonia exploité par les services douanes ; ...). Bien sûr, certaines actions relèvent surtout de politique gadget ("mois de l'impôt" ; "journée porte ouverte de l'administration douanière" ; ...) que de vraies actions de fonds. Mais quand même, pourquoi avons-nous regressé ces trois dernières années ?
3. Ignorer des faits véridiques quitte à déformer la réalité
Par ailleurs, les investissements bruts de l’année 2005 ont également enregistré une petite baisse par rapport à l’année précédente, et ce en raison de la compression des dépenses qui s’est répercuté sur le taux d’investissements publics et du léger recul des investissements privés. Par contre pour cette année 2006 où il n’y pas eu compression des dépenses (...).
Là franchement nous ne savons pas si l'auteur de l'article est tellement borné ou incompétent pour dénier la réalité. N'existe-t-il aucune réunion d'un comité éditorial, aucune conférence de rédaction ni d'autres procédures de ce genre au sein de ce journal en ligne ? Tous les ans depuis au moins 2004, il y a toujours eu des amputations budgétaires à Madagascar. Dès le premier semestre de cette année 2006, l'idée de l'amputation des dépenses a circulé aussi bien au niveau de l'administration qu'à celui des bailleurs de fonds (notamment le F.M.I.).
Pour cette année 2006, après les amputations des dernières années, c'est même la première fois qu'une Loi des Finances Rectificative - L.F.R. a été rédigée pour formaliser cette amputation. En clair, l'amputation est plus qu'officielle. Précisément, cette L.F.R. 2006, Loi N°23/2006 du 17 Juillet 2006 a réduit même les dépenses d'environ 20 à 25% pour certains postes par rapport à celles prévues par la Loi des Finances Initiale 2006. Pire, pour la première fois depuis des années, l'amputation porte sur les dépenses de solde tel que l'a rapporté L'Express de Madagascar qui parle d'un report de paiement des indemnités des fonctionnaires en 2007.
4. Et surtout toujours déclarer urbi et orbi que tout va bien
Par contre pour cette année 2006 où il n’y pas eu compression des dépenses et où les investissements privés ont repris, la tendance est appelée à se reverser en positif.
L'année 2006 ne se présente pas mieux que l'année 2005 en termes de croissance. La prévision de croissance de cette année a été ramenée à 4.7-4.6% contrairement aux objectifs de 5.9% de la L.F.I. 2006 : une réduction de 1.2 % ce n'est pas rien. Mais surtout, comme nous l'avons vu précédemment dans Compter : un Acte Politique et La Bonne Voie, ces taux sont très loin d'assurer une réduction sensible de la pauvreté à Madagascar. Au début de son article, l'auteur avance que : "ce rapport économique 2005-2006 parle d’une croissance réelle positive se traduisant en termes simples par le recul de la pauvreté". Avec un taux de pauvreté de 69% en 2001 et de 78% en 2006, pouvons-nous parler d'un recul ?

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